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infinie minute qui précède l’attaque, quand chaque homme, qui, pendant des mois, ne les a vus que par un étroit créneau ou par un périscope, tend sa volonté pour s’y lancer ? La nuit, seulement, quelques-uns, les plus braves, s’y aventurent pour aller reconnaître les travaux, approches de l’ennemi. Armés de grenades, le couteau à la ceinture, une boussole phosphorescente dans la poche, ils s’en vont dans le noir. Mais de bleuâtres, éblouissantes étoiles s’allument. Alors, sur le terrain dont chaque relief s’illumine impitoyablement, il faut se jeter à plat ventre, ne plus bouger, ou bien ramper. se traîner de pierre en pierre, sous de brefs bourdonnemens de balles.

On essayait d’imaginer ces choses. Mais tout restait vide dans le désert sans couleur et bouleversé, jusqu’au moment où la canonnade anglaise rompit encore une fois le silence. Très loin, alors, jalonnant la crête de Vimy, des fumées apparurent, tout de suite levées et ramifiées comme de grands arbres fantômes. Chacune suivait un bruit ronflant, propagé tout droit dans le ciel, comme d’un train qui passerait là-haut, très vite, par-dessus le plafond de grisaille. Mais rien du feu des éclatemens : les » arrivées » se produisaient dans le mystérieux au-delà, derrière le faux horizon tendu par la plaine montante.


Les Boches durent perdre patience, car des bruits nouveaux et prochains se mirent à fendre l’espace. Cela passait en lignes sifflantes, bien plus rapide et plus bas que les volées anglaises. C’étaient comme d’immenses coups de fouet lancés au ras des parapets : on eût dit à deux ou trois cents mètres devant nous. On sentait la véhémence furieuse et rigide de la chose qui, par là, tendait contre toute vie la barrière de son invisible trajet.

Un factionnaire nous arrêta. On ne passait plus.

« C’est vrai, dit le lieutenant, il vaut mieux attendre un moment. Presque tous les deux jours, d’ailleurs, c’est la même chose à la même heure. On dirait un horaire de tir. »

Alors vingt minutes d’attente dans un abri de mitrailleuse, tandis que s’épuisait cette fureur. Et puis, la paix revenue, en route, de nouveau, dans le boyau jaune. Il remontait, et nous allions maintenant hors des sapes, sur une large et libre voie,