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les deux soldats répondaient : « Danke. schön ! Danke schön ! » Il était visible que la tête leur tournait de fatigue.

La nuit passa tranquille sur le village humilié. Une sonnerie de clairon, de grand matin, réunit les hommes sur la place pour l’appel et l’exercice. Les gens de Meulebeke leur laissèrent tout le jour la rue et le cabaret : nul ne mit le pied hors de sa maison. Enfermés ensemble, Luc et Gotton étaient les plus malheureux de tous, à cause de cette irrémédiable séparation que leur vie coupable avait établie entre eux et toutes les familles, tous les bons chrétiens de ce village. C’était bien dur d’être seuls et comme exilés jusque dans l’épreuve publique qu’ils partageaient cependant. Ils ne se disaient pas cette tristesse, mais tous deux y puisaient un plus sombre et plus âpre désir d’amour. Ils étaient inquiets aussi. On pensait qu’Iseghem était occupé comme Meulebeke ; et malgré le calme étrange des longues heures qui s’écoulaient, Gotton tremblait pour les enfans de Luc. Ce calme, c’était tellement inattendu, après tout ce qu’on avait entendu raconter ! Cela ne rassurait personne et donnait simplement du temps pour méditer la menace indécise suspendue, sur tout le pays.

Le soir se glissait dans la chambre où le forgeron et sa maîtresse rêvaient en silence leurs rêves d’effroi. Soudain des coups précipités retentirent à la porte de la forge.

« Nos Allemands viennent chercher leur diner, » pensa Luc et il se leva pour ouvrir. Mais Gotton l’entendit parler en flamand dans la forge ; elle comprit qu’on lui apportait des nouvelles. Son cœur se mit à bondir dans sa poitrine. Quelques minutes après, Luc rentra dans la chambre, pâle, la sueur lui perlant au front. Il resta un moment immobile, les yeux fixés dans le vide, sous le regard de Gotton qui n’osait l’interroger. Puis il dit à voix basse :

— Il s’est passé du vilain, à Iseghem. Gertrude a été tuée, avec ses sœurs et ses parens. Et on dit qu’ils vont incendier le village. Je m’en vais chercher les enfans.

Il sortit aussitôt.

Gotton, restée seule, joignit les mains, et branlant sa tête blême, elle répéta plusieurs fois : « Les enfans vont périr aussi ; — sûrement que les enfans vont périr aussi !... » Elle sentait que l’heure du châtiment était venue et il lui semblait tout à coup inévitable que ce fût celui-là même dont la terreur la