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inquiétude plus que par les prières de Gotton, il se mit en route pour aller savoir ce qu’on avait fait de ses enfans. Il offrirait d’en ramener avec lui un ou deux, pour le temps de la crise, si cela pouvait faciliter les choses. L’essentiel était qu’on les tint enfermés. Des récits affreux circulaient de village en village sur des petits enfans à qui les soldats allemands avaient coupé les mains.

Quand Luc revint à Meulebeke, seul, vers six heures du soir, le village semblait désert. Les habitans s’étaient retranchés derrière leurs portes closes ; les animaux étaient rentrés dans l’étable ou la basse-cour. Sur les maisons silencieuses vibrait, à de lents intervalles, la voix des cloches désolées. Gotton se tenait toute seule, près de la fontaine, derrière l’église, pâle comme une revenante. Quand elle vit Luc, elle fit quelques pas vers lui, la bouche entr’ouverte, les yeux égarés.

— Qu’est-ce que tu fais là ? demanda-t-il brusquement.

Elle montra le clocher où le tocsin sonnait toujours.

— Tu as passé en vue de Metsys, dit-elle lentement et comme en rêve. Est-ce que là aussi ?... Est-ce que tu as entendu ?

— Oui, là aussi.

— Ah !

Elle revit son père, dans la chambre du sonneur tirant sur les cordes.

— Et à Iseghem, qu’ont-ils fait pour les enfans ? tu ne ramènes personne ?

Ils arrivaient devant la forge. Luc la poussa d’un geste rude à l’intérieur. Puis il ajusta la porte, ferma la serrure à double tour et fixa le barreau de fer. Se retournant, il dit enfin :

— Ça s’est passé comme je te l’avais dit. Ils étaient tous ensemble, à la cuisine, les Moorslede et toutes leurs filles, Gertrude avec, assis sans rien faire autour de la table. Les enfans n’étaient pas là. Je les entendais qui faisaient du bruit au grenier. Le père Moorslede a craché par terre quand il m’a vu J’ai parlé tout de même ; j’ai dit : « Faites excuse, malgré que je vous ai offensés, je suis venu pour parler des enfans. » Ils m’ont renvoyé avec des injures. Gertrude criait plus fort que les autres : « Voyez-vous ça, le sacripant ? Voudrait peut-être les emmener chez sa gueuse ? » Allons, ne pleure pas, Gotton. C’est toi ma femme et mon enfant. Vois, le barreau est accroché.