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nous promener vers les bois. » Elle se laissa conduire. Ils sortirent par le petit chemin qui passait derrière leur jardin, pour éviter de traverser le village ; mais bientôt ils rejoignirent la route. Luc, poussé par les souvenirs qu’évoquait cette journée bleue de printemps, avait pris la direction du petit bois voisin de Metsys où, depuis trois ans qu’ils vivaient ensemble, ils n’étaient encore jamais retournés. Gotton n’avait pas l’air de s’en apercevoir, et elle se taisait. Tous deux regardaient leurs ombres unies s’allonger sur la route, car le soleil s’inclinait derrière eux, et l’ombre du boiteux se dérythmait bizarrement à chaque pas, à côté de l’ombre harmonieuse de Gotton. Les rayons obliques illuminaient toute la verte épaisseur de la prairie, tachetée de pâquerettes et de boutons d’or. Des vergers en fleur épanchaient dans l’air une odeur tendre et délicate, et, par endroits, des pétales blancs volaient sur la brise. La transfiguration de cette terre, si platement laide encore quelques semaines auparavant, — et qui pour l’ignorance de la pauvre Gotton était toute la terre, — représentait à ses yeux les délices st la mystérieuse béatitude de la fécondité dont elle était exclue. Pourtant la chaude pâleur du ciel et les parfums qui glissaient sur la campagne faisaient pénétrer jusque dans l’intimité de sa peine une influence pacifique et voluptueuse. Luc lui parlait maintenant de son travail, des prochaines commandes à livrer, de sa clientèle qui s’étendait dans la région ; et elle lui répondait avec calme et sagesse, comme une épouse attentive à la prospérité du ménage. Cette causerie, où l’homme se distrayait de son inquiète passion amoureuse et la fille de son chagrin caché, leur donnait un sentiment doux et profond de la communauté de leurs vies. Ils se reposaient ensemble dans cet humble aspect de l’amour. Et voilà que le petit bois que Luc avait voulu revoir se découvrait sur un renflement de la plaine, et plus loin, — si aigu, si léger dans le bleu du soir ! — le clocher de Metsys. Alors Luc étendit son bras autour de la taille de Gotton et d’un même mouvement ils se hâtèrent. Ils arrivèrent à l’endroit précis qu’ils cherchaient comme le soleil touchait l’horizon. Les sous-bois n’étaient qu’un fouillis vert ; mais, aux cimes des chênes encore trouées d’azur, les feuilles petites et dorées ressemblaient à des flammes de cierges. Les amans s’étaient arrêtés, lorsque soudain ils virent sortir du bois une bande de cinq enfans qui se poursuivirent en criant