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Supprimez un instant la personnalité bienfaisante de Léon XIII et la personnalité malfaisante de Guillaume II ; supprimez ce Pape qui sut donner au crépuscule du dix-neuvième siècle de splendides lueurs d’aurore ; supprimez cet Empereur qui soudainement a fait trébucher notre vingtième siècle en d’inexpiables mares de sang. Tous deux disparus, la carrière de Mgr Mercier aurait eu le même point de départ : une chaire de philosophie au séminaire de Malines. Et grâce à la noblesse de sa physionomie sacerdotale, grâce à des qualités intellectuelles qu’un petit cercle eût connues, elle aurait eu, vraisemblablement, le même couronnement : un siège épiscopal, qui aurait bien pu être celui même de Malines. Et dans ce même cadre où elle l’admire, l’humanité l’eût laissé vivre et mourir sans se douter que cet homme était grand.

Mais parce qu’il y eut un Léon XIII et parce qu’il y eut, hélas ! un Guillaume de Hohenzollern, deux momens surgirent, dans lesquels la simple impulsion du devoir présent, mobile unique de ses actes, fît de ce jeune prêtre un initiateur scientifique, et de ce vieillard opprimé un prophète de libération, entendu d’un bout du monde à l’autre. L’Allemagne se trouble de se sentir débile, en face de cette voix désarmée ; l’Allemagne s’étonne, comme d’un paradoxe, de voir ce membre d’un peuple subjugué parler et agir, devant l’univers attentif, comme le véritable maître de l’heure. Cette maîtrise qu’il exerce sur la vie morale de l’humanité civilisée n’est que l’épanouissement d’une humble docilité : elle consacre son ponctuel souci de faire à chaque moment ce qui doit être fait, et son acceptation fidèle de la peine qui suffit à chaque jour ; elle récompense d’une divine allégresse sa sujétion constante au devoir quotidien, à ce devoir qui depuis bientôt trois ans l’invite à faire courber le front des vainqueurs — des vainqueurs qui passent — sous le souffle incoercible d’un langage d’éternité.


GEORGES GOYAU.