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les faits dans la trame desquels s’encadre leur vie ; ils aiment à faire régner sur leur temps les improvisations de leur vouloir ; ils se flattent, par un geste d’arbitraire souverain, d’insérer eux-mêmes dans l’histoire, qui sous leurs yeux se déroule, un certain nombre de feuilles blanches, et de les remplir de leur personnalité, et d’apporter à la suite de l’histoire des dérangemens imprévus ; leur caprice, qui pour un Bossuet n’est rien de plus qu’un esclave involontaire des conseils divins, se fait l’effet à lui-même, d’être le dictateur superbe des évolutions humaines ; on dirait qu’ils s’érigent en concurrens de Dieu, dont ils ne sont que les agens inconsciens.

Mais loin d’eux, très loin d’eux, dans une ombre que brusquement certaines heures d’histoire illuminent, voici surgir d’autres grands hommes : ils ne sont point, ceux-ci, des orgueils qui sans le vouloir se livrent à Dieu comme des jouets ; ils sont des dévouemens qui, de propos délibéré, se donnent à Dieu comme des auxiliaires ; ils aspirent à servir plutôt qu’à dominer ; ils font au jour le jour ce qui doit être fait, et leur devoir « se concentre sur un point, l’action du moment présent. » Le cardinal Mercier se dresse devant nous comme un exemplaire magnifique de cette façon de grandeur. Se mettre à la hauteur des circonstances est plus malaisé, parfois, que de les concerter. Il y a une façon de leur obéir, qui est tout le contraire d’un esclavage ; il y a une façon de s’y prêter, et de s’y adapter, qui implique à leur endroit je ne sais quelle gérance souveraine. Et c’est là la façon du cardinal Mercier.

L’humanité se flatte, au jour le jour, de faire émerger certains hommes et de prendre leur mesure ; mais la taille qu’elle leur attribue n’est qu’une invention de son propre suffrage, et des hommes sont réputés grands, que de grands événemens eussent peut-être montrés fort petits. Mais ces événemens, lorsqu’ils surviennent, se chargent eux-mêmes de réviser la mesure des hommes, telle que croyaient l’avoir toisée les jugemens humains ; et beaucoup se rapetissent, et quelques-uns grandissent. Ceux qui se rapetissent n’avaient auparavant que des façades de grandeur ; mais ceux qui grandissent n’avaient pas attendu, pour être vraiment grands, l’instant d’histoire qui les montre tels. Ils sont grands parce qu’ils l’étaient ; ils paraissent plus grands parce que le devoir est plus haut, d’une altitude à laquelle sans effort leur grandeur s’élève.