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Paysans, bourgeois, ouvriers, ils savent qu’ils défendent leur terre ; ils ont toujours su qu’ils auraient peut-être à la défendre. Avant la guerre, ils ont été, ou savaient qu’ils seraient soldats. Ils n’ignoraient pas l’ennemi ; la frontière envahie, ils se sont mis à le haïr. Ceux-ci, les lieutenans surtout, semblent si jeunes ; ils sont venus avec tant de candeur ! Ils font penser à des enfans qui voient et vivent ce qui n’est pas de leur âge, ce qui n’est pas pour eux. Et puis, on songe à ce qu’était leur vision du monde et de la vie, à leur Angleterre si profondément civilisée, où le bonheur était facile et fréquent, parce que l’homme y est simple, et que tout s’y orientait depuis longtemps vers un idéal d’ordre et de santé, — à cette Angleterre qui ne doutait pas de la raison et de la sécurité du monde, et, de parti pris, se masquait, dans la vie, la vue du tragique, faisant une part de plus en plus grande aux vacances, aux loisirs dans les jardins, aux jeux sur les parfaites pelouses.

Seulement, — et c’est là le trait original, — sous les habitudes de bien-être et de luxe, persistait la foi à l’absolu de certains commandemens, avec la conviction qu’un homme vaut suivant sa faculté de se les imposer à lui-même. C’est le fonds de l’enseignement qu’ils avaient reçu à l’église et à l’école. Au milieu de leur paix, dans leurs jeux mêmes, ils trouvaient une discipline d’endurance et de volonté. Ils avaient appris au foot-ball qu’il faut se taire et serrer les dents quand un coup de pied vous démolit la jambe. Ils savaient que le premier commandement de l’art honorable (c’est leur mot pour la boxe) est de sourire tout doucement quand on reçoit un coup de poing dans la figure. De leur éducation anglaise, ils avaient retenu surtout qu’un homme ne doit jamais avouer, ni à autrui ni à lui-même, une émotion ou seulement une inquiétude, — par conséquent, ne jamais admettre qu’il se trouve devant une difficulté ou un péril plus forts que sa résistance et sa détermination. Ils apportaient à la guerre cette consigne et cette habitude, avec la convention sociale d’un langage qui dit toujours le moins pour le plus, et transpose le tragique sur le plan de l’humour et de la plaisanterie. Il faut connaître ce langage pour comprendre, quand ils parlent d’un assaut, d’un bombardement, d’une attaque de gaz, qu’il ne s’agit pas d’une chose amusante ou simplement curieuse. Un sous-lieutenant nous contait que dans la campagne de l’Yser, le parapet de sa