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« triomphe moral de la Belgique » connut ainsi, grâce aux lourdes maladresses de von Bissing, une glorieuse page de plus.

La Belgique, elle n’est plus, ricanait la presse allemande. — Elle est plus grande que jamais, insistait le cardinal du haut de la chaire de Sainte-Gudule ; et lorsque, en 1930, elle fêtera son centenaire, les années qu’à présent elle traverse apparaîtront comme « les plus lumineuses et les plus majestueuses de l’histoire nationale [1]. » Mais elles n’étaient lumineuses et majestueuses que parce que les martyres endurés s’accompagnaient de toutes les protestations que la justice requérait ; et Mgr Mercier, témoin des mesures de déportation prises, d’octobre à décembre 1916, contre 90 000 civils belges, traquait de ses réclamations les autorités allemandes, provoquait une démarche du Pape auprès de l’Empereur. Son esprit de fraternité s’insurgeait, non seulement contre ces mesures, mais contre l’arbitraire qui ne les faisait peser que sur la classe ouvrière. Il demandait pour la bourgeoisie, pour son clergé, « une part dans le sacrifice que l’occupant imposait à la nation ; » toujours accueillant pour la souffrance, mais toujours insurgé contre l’injustice, ce n’était pas la cruauté du sacrifice, mais c’était son illégalité, qui soulevait ses protestations ; il en appelait « à la réprobation du monde civilisé, au jugement de l’histoire, au châtiment de Dieu [2]. »

On saura plus tard, par le menu, comment ses rapports personnels avec les autorités allemandes sanctionnaient ces actes de sa plume ; le livre : Per crucem ad lucem, où Mgr Baudrillart a groupé ces lettres altières, donne un avant-goût de ce que nous révélera l’histoire. Chacun des attentats de l’Allemagne, commenté par le cardinal, apparaissait à la nation belge comme une raison nouvelle pour qu’à l’encontre de l’Allemagne s’exerçât la vindicte publique, cette vindicte dont le cardinal osait rappeler que « d’après saint Thomas elle était une vertu, et qu’elle visait à sauver quelque chose qui ne se pèse pas, ne se chiffre pas, ne s’accapare pas, le droit, l’honneur, la paix, la liberté. »

Les catholiques d’Allemagne apprenaient avec stupeur, à la fin de janvier 1917, que le cardinal adressait à ses doyens une

  1. Per crucem ad Lucem, p. 225.
  2. Ibid., p. 275.