Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 40.djvu/796

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

obéissance [1]. » Le cardinal possédait cette force, d’être à la fois l’écho et le guide des consciences : il parlait à l’Allemagne au nom de la Belgique, à toutes deux au nom de Dieu.

Sa lettre fut saisie ; il y eut un cachot pour l’imprimeur, et des cachots pour les curés qui persistèrent à la lire en chaire ; et le gouverneur von Bissing convoqua le cardinal, pour qu’il s’expliquât. Le cardinal resta chez lui, constata que trois jours durant on le mettait aux arrêts ; il protesta publiquement au nom de ses droits de citoyen, au nom de ses prérogatives d’évêque, au nom de l’honneur dû à sa pourpre. L’Allemagne voulait qu’il se défendit, qu’il s’excusât : c’était lui qui demandait des explications à l’Allemagne. Etonnée, l’Allemagne recula : elle rendit à ce vieillard sacré le droit de circuler de nouveau parmi les ruines qui gisaient à terre, parmi les âmes qui demeuraient debout. Quant à sa lettre — la lettre délinquante, — elle circulait au delà des frontières. En vain les policiers de Bissing avaient tenté de mettre sous le boisseau l’angoissante lumière qu’elle projetait sur les horreurs allemandes ; en France, en Angleterre, en Italie, des réimpressions de cette lettre mettaient la lumière sur le chandelier ; on les introduisait dans nos écoles de France, pour apprendre à lire aux petits Belges réfugiés [2] ; et le roi Albert, digne souverain d’un tel citoyen, digne diocésain d’un tel pasteur, écrivait au Pape Benoit XV que, « comparable aux plus grands évêques du passé, l’archevêque de Malines n’avait pas craint de proclamer le droit imprescriptible d’une juste cause en face de la conscience universelle. »

Laissant les ennemis s’empêtrer dans leurs projets de poursuites, le cardinal reprit solennellement sa besogne de pasteur, partageant son temps entre son oratoire, la préparation de ses écrits épiscopaux, la visite à ses diocésains ruinés, et l’organisation de comités de secours. Dans chacun de ses mandemens, quelques lignes resplendissaient, pour maintenir à l’encontre du joug prussien l’élan de l’énergie belge : c’étaient tantôt un vœu pour la u répression des violences qui avaient troublé l’ordre européen, » tantôt une évocation de la victoire de la Marne, tantôt une invite à prier avec une prédilection spéciale

  1. Mercier, Per crucem ad lucem, p. 44-52.
  2. Rocquai,, Revue hebdomadaire, 21 avril 1917, p. 353.