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monde. Or, qu’est-ce qui dominait, dans notre vie : le bien-être bourgeois, ou l’expiation [1] ?


Ainsi le primat de Belgique, préparant son retour parmi ses ouailles opprimées, se disposait-il à leur demander que le prêtre expiât pour le fidèle, et le fidèle pour le prêtre, et à revendiquer sa part du fardeau, dans le commun portement de croix.

Peu après la mi-septembre 1914, il rentrait dans son diocèse, voyait Anvers résister puis succomber ; et parcourant les routes mêmes où s’était engouffrée l’invasion, il s’en allait, de village en village, visiter son peuple. Des paroisses entières avaient disparu ; ailleurs, les deux tiers, les neuf dixièmes des maisons étaient rasées. Et ses ouailles, s’empressant, lui racontaient les fusillades, les déportations, les incendies, les massacres des prêtres, tout ce martyre belge dont Pierre Nothomb allait se faire l’historien tragique. Le cardinal sentait, au fond des âmes déchirées, certaines révoltes contre Dieu, qui permettait tout cela : il voulait les apaiser, devenir, pour elles, un maître de souffrance, un maître de pénitence. Il publia sa lettre : Patriotisme et endurance, à la Noël de 1914.

Mais souffrir, était-ce se taire ? était-ce abdiquer l’idée de lutte ? La lettre cardinalice prouvait le contraire ; elle était un acte de lutte, au nom du droit. Le gouvernement belge était au Havre ; le Roi, près des armées. A Bruxelles, l’Allemagne régnait ; mais le cardinal était là, juge de l’Allemagne. Il redisait en face d’elle l’absolutisme du droit ; il déclarait qu’affirmer la nécessité de tout subordonner à la justice, à l’ordre, à la vérité, c’était implicitement affirmer Dieu ; et c’est au nom de la religion même qu’il célébrait l’héroïsme des soldats belges, vengeurs de l’Absolu. En Italie, en Hollande, certains u habiles » avaient dit : « Pourquoi la Belgique n’a-t-elle pas fait un simulacre de résistance ? — Cela eût été indigne, répliquait-il ; les droits de la conscience sont souverains. »

Il précisait l’attitude séante à l’égard des « personnes qui par la force militaire dominaient la Belgique » : respect pour leurs règlemens, « aussi longtemps qu’ils ne lésaient ni la liberté de conscience chrétienne ni la dignité patriotique. » Mais ce pouvoir, insistait-il, « n’est pas une autorité légitime : dans l’intime de votre âme, vous ne lui devez ni estime, ni attachement, ni

  1. Mercier, Per crucem ad lucem, p. 40.