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aux générations futures de mesurer [1]. » Ainsi notait-il, au jour le jour, les prestiges de la patrie belge. Sa lettre pastorale de 1910 avait pour objet la piété patriotique ; et la parole de ce prélat devenait l’une des forces directrices de son peuple. Ni ce prélat ni ce peuple ne pressentaient pourtant la gloire douloureuse qui les attendait l’un et l’autre, et qui devait les unir, inséparablement, dans l’admiration du monde.


VIII

Le cardinal était à Rome pour le conclave, lorsqu’à la fin d’août 1914 il apprit coup sur coup les dévastations incendiaires de Louvain, les bombardemens destructeurs de Malines. Son premier regard fut pour son crucifix, pour « Jésus meurtri, enveloppé de son sang comme d’une tunique. « « Il ne faut pas que le serviteur soit mieux traité que son maître, » lisait-il dans saint Mathieu. La Belgique, servante du Christ, devait donc accepter « une place de choix sur la montagne du Calvaire. » A chaque coup nouveau que l’Allemagne frappera sur la Belgique, le cardinal, interpellant ses ouailles, leur redira que le Christ aussi fut frappé. « N’est-ce pas, leur demandera-t-il, que vos cœurs généreux eussent mal supporté que notre divin Jésus fût seul à la peine ? » La vie même du Christ, — la Passion avant la Résurrection, la mort pour arriver à la vie, la croix pour entrer dans la gloire, — lui apparaît comme offrant en un raccourci la solution fondamentale des problèmes essentiels de la vie des individus et des nations [2].

Il fallait bien expier, d’ailleurs. Sous la plume du cardinal, l’idée d’expiation, loin de s’acharner sur les péchés des autres, devient humblement et profondément persuasive, en affectant l’émouvante allure d’un mouvement de contrition.


Et nous, religieux, prêtres, évêque, nous surtout, dont la sublime mission est de traduire dans notre vie, plus encore que dans nos discours, l’Évangile du Christ, nous donnions-nous assez le droit de redire à notre peuple la parole de l’apôtre des nations : « Copiez votre vie sur la mienne, comme la mienne est copiée sur celle du Christ ? » Nous travaillions, oui ; nous priions, oui encore, mais c’est trop peu. Nous sommes, par devoir d’état, les expiateurs publics des péchés du

  1. Mercier, Œuvres pastorales, II, p. 421.
  2. Mercier, Per crucem ad lucem, p. 26-27, 155, 157, 237.