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ses séminaristes, ne se substitue pas à la nature, mais s’y ajoute et se sert d’elle pour agir, votre perfection chrétienne et conséquemment votre éducation sacerdotale sont solidaires de votre pouvoir de réflexion [1]. » Il proclamait sans relâche la dignité, la valeur, l’efficacité de notre instrument pensant. « Dans le royaume de la philosophie, l’unité est la loi, mais le sceptre ne peut appartenir qu’à l’intelligence [2] : » ainsi s’achève le discours : Vers l’unité, qu’il prononçait en 1913 comme président de l’Académie royale de Belgique.

Des intellectuels se rencontrent, pour qui l’intelligence se résume tout entière en un pouvoir d’abstraction : tel n’est pas le cardinal. Ce néo-scolastique redoute au contraire la prépondérance des abstractions : il la redoute pour la vie intérieure, non moins que pour la science. Car de même qu’il y a, pour le savant, des faits naturels à observer, il y a, pour l’âme chrétienne, des faits surnaturels à contempler. A l’oratoire non plus qu’au laboratoire, l’abstraction n’est de mise. En quelques pages d’une merveilleuse finesse, le cardinal prémunit les clercs contre une notion purement intellectuelle de la méditation, qui en ferait une concentration intense de la pensée. « Mais non, leur dit-il, la méditation n’est pas un exercice intellectuel solitaire, mais un entretien de l’âme avec notre Dieu vivant ; et son objet principal ne sera donc pas une vérité abstraite à mûrir pour un intérêt moral ; ce sera Notre-Seigneur, sa personne, son enseignement, ses exemples, ses œuvres. » Le cardinal recommande la méditation, ainsi conçue, comme un contrepoids à ce que l’étude a de desséchant, et ses intimes savent que ces conseils à ses clercs nous livrent le secret de sa propre vie [3].

Oui, son secret, son secret avec Dieu. Il y a quelques années, le peintre Janssens, voulant faire son portrait, s’en allait chaque dimanche l’observer à la cathédrale de Malines à l’office des vêpres, ponctuellement présidé par le prélat : il le regardait prier. Le rythme intérieur de la vie du cardinal reposa toujours sur un parfait équilibre entre l’étude et l’oraison, — l’oraison rendant grâces pour l’étude, et l’étude à son tour rendant grâces, en quelque mesure, pour les bienfaits de l’oraison, et l’enthousiasme des heures contemplatives se propageant

  1. Œuvres pastorales, I, p. 320 ; II, p. 12 et 275 ; A mes séminaristes, p. 63.
  2. Revue néo-scolastique, août 1913, p. 273-278.
  3. A mes séminaristes, p. 123-142.