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Claude Bernard, dans un sermon de retraite, était à son tour mobilisé, pour justifier, au nom de la physiologie, la parole de Bossuet, d’après laquelle il ne suffit pas de dire que nous mourrons, puisque chaque jour nous mourons [1]. Bossuet apparaît au cardinal comme « le plus grand penseur des temps modernes [2] » : il convoquait, cependant, pour lui faire écho, un savant de laboratoire. Une conférence qu’il donnait en 1910 sur la nécessité de la liturgie se déroulait comme un cours de « psychologie des foules, » à l’issue duquel il fallait bien conclure qu’étant donné la nature de la collectivité humaine, l’Eglise devait nous faire prier comme elle nous fait prier [3]. D’autres fois, un axiome de scolastique commandait toute une homélie « Les impressions coutumières cessent d’émouvoir, ab assuetis non fit passio » : le cardinal s’abritait derrière ces cinq mots pour signaler à ses prêtres qu’ils sont « trop familiarisés avec le spectacle de la mort pour y appliquer souvent avec intérêt leur pensée [4]. » Il ne lui déplaisait pas, d’ailleurs, à son arrivée de Louvain, que ses prêtres fussent un peu philosophes : publiant une lettre pastorale sur Dieu, il y joignait, pour eux, une note en latin sur la théodicée ; et leur prêchant sur l’orientation de la vie, il leur montrait, en termes fort techniques, comment leur contingence même rendait nécessaire que Dieu existât [5].

Il apportait ainsi de Louvain ses familiarités intellectuelles coutumières, et ses habitudes de pensée, et son langage de penseur ; il apportait, surtout, une belle confiance dans l’intelligence humaine. Catholicisme, pour lui, « est synonyme d’élargissement intellectuel... Ce n’est pas à un esclavage intellectuel que le Christ convie l’humanité, mais à la liberté supérieure des enfans de la lumière. » Belle confiance, aussi, dans la science ; comme archevêque, il tenait à l’affirmer à nouveau : « Quoi qu’en disent certains esprits chagrins ou certains hommes de peu de foi, la science enregistre journellement des succès définitifs ; elle va de l’avant. » Confiance, encore, dans la force éducatrice de la réflexion : « Comme la grâce, disait-il à

  1. Mercier, Retraite pastorale, p. 99.
  2. Ibid., III, p. 180.
  3. Ibid., Œuvres pastorales, III, p. 55-65.
  4. Ibid., Retraite pastorale, p. 89.
  5. Œuvres pastorales, I, p. 194 ; et Retraite pastorale, p. 72-73.