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libéraux des discussions assez âpres, qui avaient achevé d’effaroucher la hiérarchie épiscopale. On avait mieux à faire, pensait-elle, que de perdre le temps en bagarres spéculatives, au moment où les entreprises scolaires du ministère Frère-Orban mettaient en péril l’âme des petits enfans. On avait à créer des écoles primaires ; c’était plus urgent que la philosophie... Mais Léon XIII avait parlé : il exigeait cette entrée du thomisme à Louvain, et cette irradiation de la vie publique belge par une instruction philosophique nouvelle. Les évêques, dociles et surpris, méditaient son désir, et leurs méditations, trop hésitantes ou trop profondes, s’attardaient longuement.

Elles s’attardaient encore lorsque soudainement ils apprirent que Léon XIII allait leur envoyer, après l’avoir mitré, un religieux d’Italie, grand clerc en thomisme, et qu’ils n’auraient plus à lui donner, à Louvain, qu’une salle et des élèves. Patience, Très Saint Père ! supplièrent-ils aussitôt, et leur étude des suggestions pontificales devint subitement impatiente d’aboutir. « Prenons l’abbé Mercier, directeur de vos philosophes, » dit au cardinal Dechamps Mgr Durousseau, évêque de Tournai, qui naguère, comme supérieur du séminaire de Malines, avait eu le jeune prêtre sous ses ordres. — « Sera-ce bien ? » questionna le cardinal. — « Tellement bien, répliqua l’évêque, que si j’étais Votre Eminence, je ne me réjouirais pas de le perdre. » — « Eh bien, nommons-le, conclut le cardinal résigné ; le Pape sera content. » Et Léon XIII en effet fut content [1].

Le « grand abbé » — comme depuis son ordination l’appelaient ses élèves — s’en fut à Rome, aux vacances de 1882, voir le grand Pape ; et leurs deux imaginations s’accordèrent. Les coups d’œil de Léon XIII traçaient une route à l’abbé Mercier ; ils étaient le signe qu’il devait « aller de l’avant : » le cardinal aime ce mot-là. Le Pape ne voulait pas seulement « qu’on appliquât les principes de la philosophie catholique pour faire produire aux sciences physiques et naturelles tous les fruits dont elles sont susceptibles ; » mais il constatait, d’autre part, que les anciens scolastiques s’étaient préparés, par l’étude des sciences physiques et naturelles, à l’œuvre propre de la philosophie. Un quart de siècle avant que les admirables travaux

  1. Pour cette histoire de l’œuvre de Mgr Mercier à Louvain, nous devons beaucoup au cours récemment professé par M. le chanoine Noël, un de ses plus distingués disciples, dans une chaire de l’Institut catholique de Paris.