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1877, fut devenu directeur des philosophes au petit séminaire de Malines. Il ne songeait pas d’ailleurs, à cette date, à devenir le metteur en branle d’un vaste mouvement thomiste : il était tout aussi modeste que ses maîtres de Louvain. Il se faisait une loi — il se la fera toujours — de ne point devancer par une pétulance personnelle l’instant où ses énergies seraient assez mûres pour être cueillies par Dieu : il était trop l’homme d’un devoir, pour être l’homme d’un rêve.

Le devoir, pour lui, c’était, à Louvain, de cumuler avec ses études la surveillance amicale et cordiale des étudians laïcs du collège du Pape, futurs juristes, futurs médecins, dont malgré son jeune âge on l’avait nommé sous-régent ; et c’était, à Malines, de cumuler avec son professorat la direction spirituelle de beaucoup de ces séminaristes dont il voulait obtenir qu’une fois pour toutes, par un de ces actes décisifs sur lesquels on ne revient plus, ils donnassent leur vie à Jésus-Christ. Nombreux sont les prêtres belges qui lui savent à jamais gré de leur avoir arraché ce don. Ce qu’il leur demandait, à l’aurore de leur jeunesse, ce n’était rien de moins que ce que le XVIIe siècle appelait une conversion : c’était une désaffectation, une désappropriation de leur être, en vue du service divin. Et cette tâche quotidienne, émouvante et joyeuse, s’intercalait activement parmi les préoccupations du savant ; elle les eût, s’il en eût été besoin, désencombrées et purifiées de tout souci d’ambition, de toute fébrile inquiétude d’avenir ; elle absorbait certainement pour elle-même le meilleur de son âme.


III

Mais l’heure approchait où le devoir, pour lui, serait d’être un chef d’école, un initiateur intellectuel, et d’accepter que cette ambition, commandée d’en haut, commandât au jour le jour son travail : cette heure fut sonnée par Léon XIII.

De longue date, Léon XIII avait considéré saint Thomas comme le docteur le mieux qualifié pour « aplanir les voies à la Révélation. » L’encyclique Aeterni Patris, dès 1879, réclama que la philosophie thomiste fût restaurée dans l’enseignement catholique. Elle provoqua tout de suite, dans les écoles de Rome, un branle-bas assez confus d’hésitations et d’obéissances : elle finit par prévaloir, car on savait le Pape tenace en ses desseins.