Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 40.djvu/770

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une vie de privations afin d’obtenir cette grâce, afin d’amasser aussi, tout doucement, les ressources nécessaires pour faire étudier l’enfant. Un frère de Barbe, l’abbé Antoine Charlier, était doyen de Virginal ; elle avait un demi-frère, l’abbé Croquet, d’abord vicaire à Braine, qui s’en fut, quarante ans durant, évangéliser les Peaux-Rouges, et que les indigènes appelaient le saint de l’Orégon. Ces exemples, sans doute, allaient séduire le petit Désiré ; et la famille qui avait cessé d’être heureuse n’attendait plus de la vie qu’une seule joie, cette joie-là.

Désiré Mercier fut tour à tour élève du collège épiscopal de Saint-Rombaut, à Malines, et du petit séminaire de cette ville ; et ses aspirations répondaient à celles des siens. Il aura présente à la mémoire cette orientation très fixe et très haute de son adolescence, lorsque plus tard, devant un auditoire de jeunes, il s’épanchera dans une causerie, libre et grave, sur l’Idéal et l’Illusion. Il ne permettra pas que l’on calomnie ou que l’on bafoue l’idéal en l’assimilant à un rêve mal défini, mal précisé, et que, sous prétexte d’en réviser la valeur, on se décharge des devoirs onéreux que souvent l’idéal impose. « L’idéal, déclarera-t-il, c’est quelque chose de très précis, de très net ; c’est une conception claire de notre devoir. Nous devons y rester fidèles et ne l’abandonner jamais. » À l’âge où d’autres font des rêves, il avait donc un programme, sanction d’une vocation : il voulait être quelqu’un qui aime Dieu, et qui le fait aimer. Et dans cette famille où l’on avait des peines et où l’on peinait, tous les élans et toutes les souffrances, toutes les exaltations et tous les accablemens, toutes les espérances et toutes les détresses devenaient activement complices de cette vocation, qui fut ainsi comme la fleur de toute une vie chrétienne collective, et qui mûrissait, discrète, dans la ville épiscopale de Malines, entretenue sans cesse et comme réchauffée par les lointaines prières de la petite maison de Braine.

Trois de ses premiers maîtres laissent au cardinal un souvenir ému : M. Robert, qui lui apprit à obéir ; M. La Force, qui lui apprit à travailler et à vouloir ; M. Pieraerts, qui lui apprit à oser[1]. Les Allemands ont pu mesurer la valeur de ce professeur d’initiative qu’était M. Pieraerts. Les vacances ramenaient à Braine Désiré Mercier ; et là, d’autres maîtres

  1. Œuvres pastorales, I, p. 81.