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Le cimetière se reconnaissait à peine : des fragmens de dalles, des fosses ouvertes. Mais tout l’espace entre les deux pentes n’est plus qu’un cimetière : l’ennemi y a laissé des milliers de morts qu’il fallut enterrer par grandes masses. Partout se lèvent de verts tumulus. Il n’était pas besoin de savoir : nous ne savions pas d’abord... Nous étions assis sur l’un de ces monticules où notre guide, insensible à ces contingences de la guerre, avait fait poser quelques provisions de route. Par momens, un subtil, secret, mais affreux effluve passait, mêlé à la senteur fraîche des buissons...

Le lieu était vide, sauf, à cinquante mètres, une batterie dont le tir secouait fort notre bref repas. A chaque coup je voyais le recul du canon dans son logement : secousse rétractile, comme d’un tentacule très sensible sous une subite excitation. Et puis la longue chose grise, lentement, d’un mouvement aveugle et certain, revenait, recommençait de s’allonger...

Mais, dans les intervalles de silence, on entendait des gazouillis d’oiseaux ; le murmure des abeilles reprenait. Et si l’on penchait un peu la tête pour ne plus voir les bas-fonds, il ne restait que les pentes de fraîche verdure et tout près, des graminées, des buissons, des fleurs : bouillons blancs et millepertuis.

Je songeais à ce mot de l’artiste français qui disparut, en avril 1915, dans un combat des Eparges, et qui suivait avec une si fervente attention l’impassible mouvement de la nature sous nos tumultes de guerre : « Les morts ne gêneront pas le printemps... »


DEVANT LA CRÊTE DE VIMY

C’est au sortir de Carency, que l’on entre dans les vues de l’ennemi, et l’on prend, pour gagner les défenses de première ligne, un interminable boyau d’accès. Alors commence la marche dans la boue, — boue gluante comme celle de l’Argonne, parfois eau jaune, où les parois plongent, et presque toujours aux endroits où la tranchée va tourner à angle droit, en sorte qu’il faut y entrer sans savoir jusqu’où cette inondation continue. Il ne pleuvait pas, il n’avait pas plu la veille, et nous étions au mois de juin.