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Au demeurant, s’il est des coins de terre où les imaginations s’assoupissent, Braine, tout au contraire, les invite à prendre essor et dans le temps et dans l’espace : au-dessus des herbages planent certains souvenirs qui n’ont rien de bucolique, souvenirs d’épopée, souvenirs de Waterloo. La suprême bataille napoléonienne — celle où l’Aigle se cassa les ailes — s’acheva dans ces parages ; et deux fermes voisines en gardèrent longtemps les stigmates : l’une, la Papelotte, occupée dans ces heures décisives par le prince de Saxe-Weimar [1], appartenait à un membre de la famille Mercier ; l’autre était la propriété de la famille Charlier, où Pierre-Léon Mercier devait un jour prendre femme. La première guerre européenne laissait ainsi des traces profondes dans l’histoire familiale des Mercier, et dans celle des Charlier. Il était réservé à un enfant de Braine de graver, cent ans après, son verbe et son nom dans l’histoire d’une autre guerre, européenne d’abord et bientôt universelle : cet enfant devait être un Mercier, fils d’une Charlier.

Il naquit le 21 novembre 1831, succédant à quatre fillettes : après lui, deux enfans survinrent encore ; et la mort prématurée du père fit de Barbe Mercier, sa veuve, la gardienne de sept orphelins. Une distillerie, sur laquelle avait compté Pierre-Léon pour nourrir cette famille, dut être vendue : on vendit aussi la maison familiale, et l’on se retira, tous les huit, dans une maisonnette proche de l’église, à Braine. Il semblait à ces infortunes qu’elles échappassent au délaissement, en venant s’adosser à l’église, qui console. Il y avait à Bruxelles de lointains cousins — l’un même fut un instant ministre — qui paraissaient tout prêts à illuminer d’un beau rayon l’avenir du petit Désiré Mercier : qu’il se préparât à entrer dans l’administration, et ils seraient ses protecteurs ; ils l’exalteraient peut-être, le temps aidant, jusqu’à un fauteuil de chef de division, dans un important ministère.

Barbe Mercier n’égarait pas ses rêves vers de semblables cimes. Elle les attachait aux degrés de l’autel, où chaque jour s’agenouillait son veuvage : ils étaient la seule altitude avec qui son infortune se sentît de plain-pied, et la seule dont pour son fils elle souhaitât l’ascension, comme on souhaite une grâce. Et les quatre grandes filles, blotties contre la mère, inauguraient

  1. Henry Houssaye, 1815. Waterloo, p. 306.