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et de s’élever vers ce Christ qui, dans la toile éloquente de M. Albert Besnard, le domine et le pousse en avant. Mais sans nous refuser à croire que la vaillance de sa parole et de son geste fut un don, et que ce don vint d’en haut, nous l’amènerions à convenir avec nous — et avec la théologie — que la grâce ne supprime pas la nature, mais qu’elle la parachève, et que la lumière humaine dont on essaie d’éclairer une physionomie humaine n’offusque ni n’efface, en elle, le rayonnement souverain de Dieu.


I

Voilà deux cents ans à peu près que les Mercier sont des Belges  ; auparavant, ils étaient Français. Après quelques étapes dans le Sud de la Belgique, on les trouve installés, dans la première moitié du XVIIIe siècle, à Braine-l’AIleud, bourgade du Brabant wallon. Il y a là de bonnes terres, grasses de culture, riches d’élevage ; ils y menaient une vie de fermiers. Peu à peu, l’industrie les tenta : le grand-père du cardinal, qui pendant de longues années fut maire de Braine — le vieux maire, comme on l’appelait — exploitait une tannerie. La famille alors connut des heures prospères, dans une belle bâtisse rurale qui se nommait le « château du Bastangier. »

Si le vieux maire eût laissé faire, son fils Pierre-Léon s’en fût allé vers Paris, pour être artiste ; et la peinture, peut-être, lui eût rapporté un peu de gloire. Mais la notoriété de son talent, qui était réel, ne dépassa pas le cadre de la famille. L’obéissance filiale qui l’enracinait en Brabant n’enchaîna pourtant pas les vagabondages de son esprit : il s’occupait de mathématiques, de ponts et chaussées, de littérature ; à défaut d’autre émigration, c’était encore une façon discrète d’échapper aux lisières de Braine. Les journées révolutionnaires de 1830 le sollicitèrent vers un autre genre d’évasion : avec trois autres Mercier, ses parens, il courut à Bruxelles faire le coup de feu pour les libertés belges. Le nom des Mercier figure quatre fois parmi ceux des Brainois qui risquèrent leur vie pour faire naître la Belgique moderne. Les Mercier, même au temps où ils avaient « du bien, » n’étaient pas captifs de leur aisance : l’idée de droit, l’idée de liberté, pouvaient les émanciper de leur bien-être familial et les entraîner loin de chez eux.