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début, d’appuyer ce mouvement d’aile droite par une attaque frontale qui, dans la région du Luxembourg, prendrait à partie les armées allemandes occupant la Belgique.

Dans quelle mesure le commandement français s’attendait-il à la violation de la neutralité belge et quelles précautions avait-il prises en vue d’une telle éventualité ? Il est impossible de reprendre ici tout le débat. Mais, ce qui parait exact, c’est que le commandement français, tout en ayant la conviction que le territoire belge serait violé, n’allait pas jusqu’à penser que le haut commandement allemand prendrait le parti de déboucher sur la rive gauche de la Meuse et d’envahir la Belgique entière.

Les conséquences d’une pareille détermination étaient si graves pour l’Allemagne que notre état-major avait peine à admettre que ses généraux assumeraient, de propos délibéré, une telle responsabilité. On avait, en effet, les raisons les plus sérieuses de penser que si la neutralité belge n’était pas atteinte au Nord de la Meuse, le gouvernement belge et le gouvernement britannique réfléchiraient avant de se lancer immédiatement dans la guerre. Comment croire que l’Allemagne, pour un avantage stratégique douteux, romprait brutalement avec ces puissances et déchaînerait, par leur hostilité actuelle, la vindicte prochaine de l’univers ? En vérité, on ne pouvait fonder tout un système militaire sur une éventualité aussi incertaine et sur l’aléa d’une décision aussi absurde ; l’intérêt de l’Allemagne n’éclairait-il pas ses intentions et desseins ?

Le choix que fit l’Allemagne — avertie comme elle l’était des conséquences — ne peut s’expliquer que par la détermination arrêtée, dès lors, dans la pensée du gouvernement allemand, de considérer l’Angleterre comme son principal ennemi et de viser à l’anéantissement de cette puissance tandis qu’elle était encore désarmée. Cette raison peut seule expliquer le projet de marche des armées allemandes à travers la Belgique du Nord, droit sur l’Ouest et la mer, avec Dunkerque et Calais pour objectif immédiat.

Le commandement français, qui se plaçait surtout à un point de vue national et qui raisonnait d’après les données ordinaires du bon sens, se croyait donc suffisamment protégé en disposant ses troupes depuis Rocroi et même Vervins jusqu’aux Vosges, puisque la plus grande partie de nos corps d’armée se trouvaient ainsi placés face à la Belgique et au Luxembourg.