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au pays, cette armée s’efforce d’en rester indépendante et de n’y faire sentir aucun poids. Si la vie du pays s’est faite plus rare et plus lente, c’est, — comme par toute la France, — par l’effet de notre mobilisation. A travers l’organisation et les hiérarchies étrangères, l’ordre indigène persiste et transparaît. Par exemple, au milieu des hommes et des canons d’Angleterre, c’est une prévôté française qui fait, pour les Français, la police de ces routes. A côté du capitaine anglais, dans l’automobile anglais, c’est à des gendarmes de chez nous que nous devions montrer nos papiers anglais. De même, dans les villes que nous avons traversées, je n’ai pas vu une seule affiche signifiant à la population un ordre, un appel, un avis de l’autorité britannique. Pour empêcher les hommes de s’alcooliser au cabaret, on ne s’adresse qu’aux hommes : nulle interdiction au cabaretier. Seulement, si l’on découvre qu’un soldat a bu chez lui des liqueurs fortes, on agit comme pour le village infecté : d’abord le soldat est puni, et puis défense à la troupe de mettre les pieds chez ce cabaretier pendant quinze jours. Sauf les logemens, où l’on a pris la suite de l’armée française, on ne réquisitionne pas ; on achète, et la consigne est de ne pas marchander. J’ai su ce qu’une maison, où un important service est installé, coûte à l’État anglais : c’est un surprenant loyer. L’Intendance pouvait en fixer le prix. Comme nous le disait un officier, le principe est d’éviter à l’habitant tout sentiment des gènes et contraintes qui suivent une occupation militaire. « Notre idéal, ajoutait-il, serait de passer invisibles. »

Il parlait de l’armée. Le soldat est invité « à saisir toute occasion de cultiver les relations les plus amicales avec nos alliés, » et il se fait beaucoup de petits commerces, au cantonnement, avec l’habitant. On sait le simple langage qui s’est improvisé si vite pour ces échanges.


Long arrêt à Saint-Pol, — sombre, sérieuse, ramassée dans sa vallée, — pour prendre les permis nécessaires à la visite des premières lignes. Nous attendions dans la cour du Quartier Général, installé dans une maison du XVIIIe siècle (il y en a partout dans ce pays) : longue façade basse et blanche, avec deux ailes en retour ; vaste grille de fer forgé, et dans l’espace enclos, de sages quinconces de platanes. Dans ce cadre si français, je suivais les mouvemens de la sentinelle. C’était