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Comité exécutif du Conseil des ouvriers et soldats pour lui faire savoir qu’elles étaient affreusement mal nourries et dans la plus grande misère.

Chez les hommes, même désarroi, compliqué parfois d’une fâcheuse démoralisation. Au monastère Daniloff, qui dépend de l’archevêché de Moscou, le supérieur a refusé de lire le texte de l’abdication du tsar. Les moines se sont révoltés et ont invité les étudians et les ouvriers à organiser chez eux un meeting. On y a accusé le supérieur d’avoir été l’homme de Raspoutine, et l’assemblée a voté son remplacement. Mais le nouveau supérieur nommé, les moines ont refusé de reconnaître son autorité.

Meetings également au couvent de Daniel, de Moscou, et pour des raisons analogues.

Tumulte au grand couvent de Troïtska, à la suite d’une perquisition entreprise contre la littérature excitatrice des pogroms (meurtres de juifs en masse).

Il convient de ne pas généraliser. Comme les popes, les couvens ont donné leur adhésion à la Révolution et au gouvernement provisoire, et il est encore trop tôt pour affirmer ou infirmer leur sincérité. Malheureusement, l’alcool joue actuellement son rôle dans ces monastères russes qui ne furent pas toujours l’asile de la piété et du travail !...


LA LETTRE DE M. POURISHKIÉVITCH — UNE ÉCLA.IRGIE

Le député libéral de la droite, M. Pourishkiévitch, vient de publier, sous la forme du fameux J’accuse de Zola, une lettre ouverte « aux bolchéwiki du Conseil des délégués des ouvriers et des soldats de Pétrograd. » Aucun journal n’en a donné la reproduction. Elle circule secrètement, sous forme de feuilles imprimées à la machine à écrire, et, vite devenue rare, certains de ses exemplaires ont été payés jusqu’à cent roubles. J’ai eu la rare bonne fortune d’en avoir un pour quelques heures entre les mains [1]. Cette lettre, ou plutôt ce réquisitoire, a

  1. J’ai pu également me procurer le texte du Pricaz n° 1 dont il a été parlé dans mon article : Lendemain de révolution, et qui fut la cause déterminante du mouvement de révolte et d’indiscipline contre lequel le ministre de la guerre, M. Kérensky, a si heureusement réagi. Ce Pricaz est tombé presque mystérieusement entre mes mains. Enlevé au ministère de la guerre par un officier, il a été envoyé à Mme Marylie Markovitch, et porte encore la déchirure faite par le clou qui le retenait :
    1er mars 1917.
    A la garnison de la région militaire de Pétrograd, à tous les soldats de la garde, de l’armée, de l’artillerie, de la flotte pour exécution immédiate et précise, et aux ouvriers de Pétrograd à titre d’information.
    Le Conseil des délégués des ouvriers et des soldats a décidé :
    1° Dans les compagnies, bataillons, régimens, parcs d’artillerie, batteries et sur les navires de la flotte de guerre, élire immédiatement des Comités de représentans choisis parmi les militaires de grade inférieur des corps d’armée précités.
    2° Dans toutes les unités militaires qui n’ont pas encore élu leurs représentans au Conseil des délégués ouvriers, choisir un représentant par chaque compagnie qui doit se présenter avec des certificats écrits, à la Douma d’État, à dix heures du matin, le 2 courant. 3° Dans toutes les démarches politiques, l’unité militaire se soumet à l’autorité du Conseil des ouvriers et délégués soldats et à leur Comité.
    4° Les ordres de la Commission militaire de la Douma d’Etat ne doivent être exécutés que dans les cas où ils ne sont pas en contradiction avec les ordres et les décisions du Conseil des délégués, ouvriers et soldats.
    5° Toutes sortes d’armes, telles que fusils, mitrailleuses, automobiles blindées, etc., doivent être à la disposition et sous le contrôle des comités de compagnies et de bataillons et, dans aucun cas, ne doivent être remises aux officiers, même sur leurs ordres.
    Dans les rangs et dans les services commandés, les soldats sont obligés d’observer la plus rigoureuse discipline militaire, mais, hors du rang et du service, les soldats dans leur vie politique civile et privée ne peuvent en rien être amoindris dans l’exercice des droits dont jouissent tous les citoyens. Le » garde à vous, » le salut militaire obligatoire hors du service sont abolis (Souligné dans le texte.).
    7° Également, sont supprimés les titres à l’adresse des officiers : Votre Excellence, Votre Haute Noblesse, etc. qui sont remplacés par l’appellation M. le général, M. le colonel, etc. Tout traitement grossier envers les soldats de la part de n’importe quel gradé, et en particulier le tutoiement, est interdit. En cas de transgression à cet ordre et de malentendu entre officiers et soldats, ces derniers doivent en référer au Comité des compagnies.
    Le Conseil des députés,
    des ouvriers et des soldats de Pétrograd.