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vainement de calmer l’effervescence. Entouré, presque menacé à son tour, il ne put obtenir qu’un vote à main levée pour décider si les prisonniers devaient être livrés à la foule ou laissés entre ses mains. Le premier parti l’emporta. Aussitôt, les paysans, froidement féroces, se jetèrent sur les prisonniers et les battirent jusqu’à ce que, couverts de sang, étendus par terre, ils ne donnassent plus signe de vie.

Puis on prit les corps et on les jeta sous un hangar. Un de ces malheureux ayant repris ses sens, la foule s’empara d’eux de nouveau, les battit et les piétina. Enfin, un soldat s’élança vers le groupe des misérables aux trois quarts assommés et, debout sur le tas de chairs tuméfiées, se mit à le larder de coups de baïonnette.

L’esprit s’arrête, confondu, devant de telles horreurs. Et cependant le peuple russe est bon. Mais une fois l’ère des violences et des représailles ouvertes, qui pourra en fixer les limites ? Et, jusque dans les campagnes, c’est presque toujours l’armée qui entraîne le peuple.

Les vols sont devenus si fréquens qu’on n’éprouve plus aucun étonnement à lire des annonces dans le genre de celle-ci, cueillie dans le journal La Reitch, du 14 mai 1917 : « Je prie la personne ayant volé, le 11 mai, à la gare Nicolas, dans un compartiment de wagons-lits, un sac de voyage contenant des choses précieuses, de renvoyer les papiers indispensables à l’adresse suivante : Hôtel de l’Europe, n° 27. » Le cas de retour des papiers, même sans avis dans les journaux, est assez fréquent lorsque l’adresse du volé tombe sous les yeux du voleur !...

L’esprit de désordre et d’insubordination a franchi même les murs des cloîtres. Dans certains couvens de femmes, les religieuses se sont révoltées contre les règlemens et ont demandé une modification profonde des statuts. Les popes, mal payés, en contact journalier avec le peuple, se sont, en général, montrés favorables à la Révolution. Il n’en va pas de même dans les monastères pourvus de riches prébendes par le gouvernement impérial. A Novgorod, par exemple, les religieuses ont excité la population contre une institutrice envoyée par les zemstvos pour expliquer la Révolution aux paysans.

Celles de Kazan, qui étaient jadis sous la protection de la grande-duchesse Elisabeth, sœur de la tsarine, ont écrit au