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depuis la suppression de l’alcool [1], subit de nouveau de terribles fluctuations. On délaisse le travail ; la jeunesse villageoise s’adonne au jeu, chante des chansons obscènes et emploie toutes les ruses pour se procurer de l’alcool. Les déserteurs qui rentrent au village y apportent des fermens de désordre et de démoralisation. La » houliganerie » [2] qui avait presque disparu refleurit sous le prétexte de « partage des terres. » On saccage les foins, on brûle les jeunes pousses, parfois les habitans de deux villages voisins se jettent sur le même morceau de terre et finissent par en venir aux mains.

Près de Mlsensk, dans la Russie centrale, des soldats accompagnés de sous-officiers se présentèrent à la propriété de Mme Chérémétieff sous prétexte de rechercher les armes. Le personnel du domaine n’osa pas leur opposer de résistance et ils visitèrent la maison de fond en comble. Ayant trouvé du vin dans les caves, ils s’enivrèrent, et aussitôt le pillage commença. Les paysans des villages les plus proches accoururent pour se joindre à eux. La garnison de Mtsensk arriva aussi à la rescousse et prit part à la curée. L’ensemble des vols ou des dégâts s’éleva à 1 millions et demi de roubles (15 millions de francs).

Son œuvre achevée, la troupe avinée se rendit à la distillerie de Selesnieff, située à trois verstes de Mtsensk. Une foule de 5 000 personnes composée de soldats, de bandits et de paysans s’y trouvait déjà et se préparait à en faire le siège. Voyant que tout était perdu, quelqu’un dont on n’a pas su le nom, mais qui appartenait sans doute à la distillerie, mit le feu à l’alcool. Cette mesure farouche, à la Rostopchine, sauva en partie la propriété. Soldats et paysans se jetèrent alors sur une autre distillerie des environs. Il fallut un régiment d’artillerie à cheval venu de la ville d’Orel pour limiter ces redoutables troubles agraires.

De véritables scènes de sauvagerie se sont déroulées dans les environs de Moscou. Une troupe de « houligans » ayant envahi un village pendant la nuit et voulant s’emparer d’une maison, les moujiks s’assemblèrent et il y eut un échange de coups de feu. La milice de Moscou, arrivée en hâte, poursuivit les malfaiteurs et réussit à en arrêter quatre. La foule surexcitée demanda qu’on lui livrât les prisonniers. Le commissaire essaya

  1. Voyez la Revue des Deux Mondes du 1er janvier 1917.
  2. Ibid.