Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 40.djvu/690

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

impression du grand tribun révolutionnaire est commune à beaucoup d’autres. Tout ce qui a du bon sens, même parmi le simple peuple, proteste contre les tendances extrémistes. Des révolutionnaires, des intellectuels, des gens qui ont souffert pour le triomphe des idées libérales en sont aujourd’hui à dire :

— Que ne sommes-nous morts en exil ou au bagne ? Au moins nous aurions pu croire jusqu’au bout que notre sacrifice avait servi la cause de la liberté. Or voici que la liberté est venue, mais elle n’a abouti qu’à l’anarchie annonciatrice de la réaction.

Depuis deux ou trois semaines, on n’écoute plus la voix de ceux qui furent les grands apôtres de l’idée révolutionnaire. Impérialistes, Rodzianko, Milioukoff, Maklakoff, les libéraux de la première heure qui forment aujourd’hui l’extrême droite de la Révolution ! Bourgeois, Plékhanoff, Kropotkine, tous ceux qui ayant passé leur exil dans des pays libres comme la Suisse, la France ou l’Angleterre, en ont rapporté une saine conception de la liberté !

Le ministre socialiste belge M. Vandervelde, arrivé depuis quelques jours à Pétrograd, a prononcé dans la grande salle de la Douma de la ville un éloquent et émouvant discours qui fait le contrepoids aux dangereuses paroles du léniniste Zinovieff. Le surlendemain, suivi des Belges résidant à Pétrograd, il est allé au Champ de Mars rendre hommage aux victimes de la Révolution russe. D’autres manifestans avec leurs drapeaux se sont joints à lui.

Comme à l’ordinaire, des meetings isolés se forment autour des tombes, des conversations s’engagent. Un officier et un voyenni-tchinovnik (fonctionnaire militaire) s’appliquent à faire comprendre à des soldats la nécessité d’une offensive :

. — Au nom du ciel, frères, comprenez : si vous faites maintenant une offensive, avant trois mois la guerre sera finie ; avant trois mois, certainement.

Et ils reprennent les argumens connus : disette allemande, manque de soldats, actuellement si peu nombreux sur le front russe, et que grâce à l’offensive franco-anglaise on ne peut faire revenir du front occidental.

— Une offensive ? Pour quoi faire ? répondent les soldats, puisque nous aurons la paix quand même. Si les Allemands nous attaquent, nous ne les laisserons pas entrer, mais nous