Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 40.djvu/689

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

géorgien, elle est en communication constante avec tout ce qu’il y a d’actif dans ce pays d’ancienne civilisation en qui la politique tsariste de russification à outrance n’a pas réussi à étouffer le patriotisme et l’amour de la liberté.

— Jamais la situation n’a été pire pour la Géorgie, me dit la princesse. La censure, supprimée dans les autres villes de la Russie, sévit encore plus sévèrement qu’autrefois à Tiflis. Jamais la vie n’y a été aussi pénible et la répression du moindre délit aussi rude. Le gouvernement, qui s’est appuyé sur nous jadis, redoute maintenant nos tendances séparatistes...

Ne m’a-t-on pas cité quelque part ces paroles attribuées au député géorgien Tchkhéidzé, président du Conseil des ouvriers et des soldats : « Qu’ai-je à faire de la Géorgie ? Je suis citoyen du monde ! » Car déjà l’Europe ne lui suffit plus !

1/11 mai. — La démission de Goutchkoff est officiellement confirmée. Kérensky y faisant allusion, dans une réunion tenue au « Comité exécutif des ouvriers et soldats, » a dit que « M. Goutchkoff joue dans le gouvernement le rôle du premier rat qui, au moment du naufrage, abandonne le navire ! »

Les démissions se succèdent : après celle de Goutchkoff, voici celle du général Korniloff ; d’autres, dit-on, aussi graves, se préparent.

Le Conseil des ouvriers et soldats, épouvanté par la rapidité avec laquelle les tendances extrémistes se propagent dans le peuple, semble revenir à plus de sagesse. Après une entente avec le gouvernement provisoire, il vient d’adresser un appel aux officiers et soldats du front en leur enjoignant de prendre l’offensive. Mais cet ordre vient trop tard ; le mal est fait. Les soldats refusent l’obéissance, même au Conseil !

2/15 mai. — La situation s’aggrave d’heure en heure. Les généraux Rouszky, Broussiloff et Gourko ont démissionné à cause de l’indiscipline des troupes. Un drapeau sur lequel on pouvait lire « Vive l’Allemagne » a osé faire son apparition dans la rue. Le ministère n’est pas formé : Goutchkoff continue à expédier les affaires courantes. Kérensky, dans un discours prononcé au Congrès des officiers et soldats du front, a fait cet aveu navrant : « Que ne suis-je mort pendant les belles journées du début de la révolution ? Au moins j’aurais emporté l’illusion de laisser après moi « un peuple libre, » tandis que je me trouve en face « d’un troupeau d’esclaves révoltés. » Cette