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deux et en a fait reculer un grand nombre. On l’a entouré et décoré sur place de la croix de Saint-Georges. Alors j’ai ramassé un malheureux soldat mort, et je suis venu vous rejoindre.

Et, comme nous arrivons devant ma porte :

— Ne sortez pas, madame, je reviendrai ou je vous téléphonerai selon les événemens. Ça va chauffer, tout à l’heure...

En vain j’insiste pour le retenir :

— Non, non, ma place est là-bas. Je suis milicien ; je dois aider au rétablissement de l’ordre. D’ailleurs, vous savez bien que les balles ne peuvent pas m’atteindre...

Car, outre qu’il est courageux, Michel a foi en son étoile I...


ON DÉSERTE... ON FRATERNISE...

Les pires nouvelles nous arrivent du front. Pendant les premières semaines de la Révolution, les officiers ou soldats qui en venaient, délégués par leurs camarades, vantaient le patriotisme, la fermeté de résolution des troupes. Ils faisaient entendre des paroles de sagesse, des appels à l’ordre et au travail. Les divergences politiques, les querelles des partis les remplissaient de crainte et d’étonnement. Peu à peu, de la capitale, la désagrégation s’est infiltrée dans les villes de l’arrière et a gagné le front. Certains journaux, comme la dangereuse Pravda, répandus dans l’armée par centaines de mille, y ont semé des fermens de révolte et de dissolution. La discipline s’est relâchée ; on a commencé à organiser des meetings, à parler politique, à discuter les ordres des chefs...

Puis est venue la question du partage des terres. Se faire tuer, c’est perdre sa part ! Alors, la nuit, en tapinois, on sort de sa tranchée pour se reporter un peu à l’arrière, de crainte d’une surprise. Au matin, si la tranchée est libre, on la réoccupe, tranquillement.

Les Allemands ont habilement profité de cet état d’esprit. Après leur attaque sur le Stokhod, ils ont compris que mieux valait laisser les Russes en paix. La Pravda et le Diélo Naroda travaillaient pour eux. Aussitôt les désertions ont commencé. Pendant quelques semaines, les trains revenaient chaque jour bondés de soldats qui s’en retournaient au village. Les toits, les wagons s’effondraient sous le poids de ceux qui n’avaient pu trouver place à l’intérieur. Des hommes ont été tués ou projetés sur la