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« ça n’est pas toujours rose, » — not in the pink ; qu’ils commencent à « en avoir soupé, » — to be fed up. Mais ils passeront très bien tous les hivers qu’il faudra. ils ne sont pas pressés. « Tu as signé pour sept ans ? » disait l’un d’eux à un régulier : « Veinard ! Moi, je suis pour la durée de la guerre. »

Un Français demanda : « En somme, quelle idée ont-ils de la guerre, qu’est-ce qui les pousse et les soutient ? » — « Pas la haine, dit l’officier. De la haine, on n’en manque pas à l’arrière, en Angleterre, aujourd’hui. Il y en a aussi, chez les survivans du début, qui ont vu les dévastations de la Belgique et de votre Nord... Mais en général, non ; ils ne voient dans les soldats boches que de pauvres diables qui peinent comme eux [1]. Et ce n’est pas non plus le patriotisme pur : l’Angleterre n’a pas été attaquée, au début, et la plupart ne voient pas que son existence est menacée. »

— « Alors ? »

Il ne répondit pas tout de suite. Enfin, à voix plus basse et plus lente, avec l’embarras, la pudeur presque de l’Anglais qui n’aime pas à prononcer les grands mots :

— « Mais, vous savez... Je crois vraiment que c’est l’idée du droit (right), la simple idée du bien et du mal. La victoire de l’Allemagne leur apparaîtrait comme le triomphe du mal... »


Sous les calmes paroles, on sentait bien le sérieux et la force de cette conviction. De l’ennemi qui a chanté sa haine, et tout fait pour attester à l’Angleterre sa volonté d’insulte et de destruction, ils parlaient avec les mots les plus ordinaires, avec humour, parfois, et ils en parlaient fort peu. Mais une simplicité si tranquille traduisait l’absolue détermination. L’Allemagne, pour eux, c’est aujourd’hui, dans la société des nations, quelque chose comme l’anarchiste ou le Fenian qui s’est mis par un attentat, — an outrage, — hors de la société. Or l’Anglais, en qui le respect de la règle sociale est aussi fort que celui de la liberté, ne tolère pas l’anarchiste, du moment que celui-ci passe aux actes. Il en parlera sans passion, mais il entend que la police l’arrête pour qu’on le juge et qu’on le pende. Et si la police n’y suffit pas, il s’engagera comme « constable spécial »

  1. Une seconde visite, toute récente, au front anglais m’a convaincu que ceci n’est plus vrai depuis la dévastation systématique, par les Allemands, du pays de Bapaume et de Péronne. On m’a dit et répété : it has made a lot of difference.