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peuple dans les soirs tumultueux de Ninive ou de Babylone !...

L’un après l’autre, afin de calmer cette attente qui s’angoisse, les ministres paraissent au balcon. Goutchkoff, malade, la main appuyée sur son cœur pour en comprimer les battemens, jette en paroles ardentes son âme à la multitude... Et tout à coup, un hourrah formidable retentit, pareil à une tempête qui passe sur les grands chênes ; dans la foule un mouvement se produit, analogue à celui des vagues au temps des grandes marées : c’est Milioukoff que la foule acclame et veut voir, et veut entendre. Le ministre proteste de la bonne foi du gouvernement provisoire, de sa propre fidélité à la cause de la Révolution...

Le poids tombe qui oppressait encore les poitrines ; l’apaisement se fait. On éprouve l’impression d’avoir échappé par miracle à un terrible danger. Longtemps encore, même lorsque le silence s’est fait sur les balcons, la foule s’attarde, allégée et murmurante, heureuse de prolonger en elle le sentiment des heures inoubliables qu’elle a vécues.


LA GARDE ROUGE

Malgré la rectification à la note du 20 avril, publiée par le ministre des Affaires étrangères et transmise aux gouvernemens alliés, les ouvriers restent dans un grand état d’effervescence. Les usines de la Baltique, les quartiers populeux de Pétrograd- skaïa-Stérana et de Viborg fermentent comme aux premières heures de la révolution. Les « camarades » se montrent mécontens non seulement du gouvernement provisoire, dont ils traitent les membres de « droitiers » et de « bourgeois, » mais même du Conseil, qu’ils ne trouvent pas assez disposé à les suivre dans leurs exagérations. Pourvus des fusils volés à l’Arsenal, reconnaissables à leur brassard, à la couleur révolutionnaire, ils se sont constitués en Garde rouge, moins pour protéger la population que pour la terroriser. En vain le Conseil a décliné leurs offres d’assistance, et répondu que la milice suffisait au maintien de l’ordre dans la cité ; en vain leur a-t-il enjoint de venir déposer leurs armes, ils continuent à se dresser, menaçans. Des armes, et surtout des grenades à mains, disparaissent presque journellement de l’Arsenal ou des autres usines de munitions. Récemment, les 20 000 hommes de la Garde rouge ont défilé en armes dans plusieurs quartiers de Pétrograd, afin