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Tchernoff ; l’Edinstvo (l’Union), du socialiste patriote Plékhanoff ; la Novaïa jizna (la Vie nouvelle), de Gorki... Tout cela brûle comme du feu, enivre l’âme et le cerveau, exalte l’imagination. La Pravda (la Vérité), organe de Lénine et des bolchévistes, devient un contre-poison, par ses exagérations même ! A chaque pas dans la rue, on se heurte à des distributeurs d’Appels, de Déclarations, de Manifestes, expression de toutes les tendances, propagande pour toutes les causes !... Et, comme si ce n’était pas encore assez, la manne spirituelle tombe du haut de tout escalier extérieur, public ou privé, de toute borne, de toute saillie pouvant offrir une tribune d’où dominer la foule ardente, prête à la riposte, aux applaudissemens ou à la désapprobation.

Pétrograd bouillonne comme une cuve après la vendange, et c’est nous qui sommes le raisin noir ! Les grands jours de 89 sont revenus et nous les vivons ! Ivresse magnifique et dangereuse !... La Russie géante, la Russie chaotique cherche sa norme, et elle la cherche dans la révolution. Les images manquent pour dépeindre ce formidable creuset où toutes les institutions, toutes les croyances, toutes les habitudes, toutes les traditions ont été jetées pêle-mêle et d’où la Russie nouvelle aspire à se dégager. Y réussira-t-elle ?... Nous sommes encore trop près pour juger la Révolution russe, mais elle apparaît comme le plus extraordinaire mouvement d’idées, comme le plus ardent foyer de propagande universelle que le monde ait vu depuis la Révolution française.

Le 1er mai que nous venons de vivre entrera dans l’Histoire sous un déploiement somptueux de drapeaux rouges, de cocardes, de rubans, de fleurs et de palmes ; au son des chants, des hymnes, de l’éclat des cuivres jetant au vent de la Néva les strophes ardentes de la Marseillaise ; dans l’ivresse joyeuse des farandoles enfantines déroulées sous les pas ; au milieu de l’enthousiasme sacré des foules, des applaudissemens qui répondent aux discours tombant des soixante tribunes dressées dans la capitale et où des orateurs improvisés remuent à plein cerveau les plus hautes, les plus nobles, mais les plus dangereuses idées :...

Il faut le reconnaître, cette sorte de mysticisme révolutionnaire où se complaisent les âmes russes risquerait, s’il se cristallisait, de devenir néfaste au succès même de l’établissement