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terre, où tout le courant passe, voilà le bateau qui entre en danse. Le général, voyant une plage prochaine et d’aspect propice à l’abordage, la montre du doigt au timonier. Le chérubin l’arrête net : « Je vous demande bien pardon, Sir, mais c’est moi qui suis responsable de ce bateau. I am in charge of this boat. »

Un autre jour, on parlait des hommes :

« Nous en avons de toute espèce, mineurs, ouvriers, commis, employés, cultivateurs, gentlemen, — assez rares, maintenant, ceux-ci, — la plupart se sont engagés au début, et presque tous ceux qui n’ont pas été tués sont officiers aujourd’hui. Quand on pense à ces commencemens, aux rangs de civils qui manœuvraient avec des bâtons dans les squares de Londres, au disparate des costumes, des physionomies, des allures ! C’était la foule, tout simplement. Et maintenant cette unité du type, du rythme, de l’esprit... Vous avez vu débarquer le produit achevé (the finished article). Il faut huit à dix mois pour le livrer.

« Ils y ont mis du cœur et de la conscience. Ils nous étonnent. On dirait des soldats de métier : ils prennent la discipline avec le même sérieux que leurs anciens, et de plus, ils l’aiment, ils y tiennent, et elle est stricte. Ils se persuadent en l’observant, comme en parlant le vieil argot militaire, qu’ils sont véritablement ce qu’ils ont voulu être : des soldats, non des amateurs. Elle fait partie de « la vraie chose » (it’s part of the real thing) ; elle rehausse l’idée qu’ils ont de leur tâche et de leur nouvelle vie. Regardez les sentinelles monter la garde. C’est aussi bien qu’à Buckingham-Palace : de l’horlogerie, — clock-work.

... « Et nous approuvons cela. L’expérience montre que le meilleur soldat, c’est encore celui dont le fusil est le mieux astiqué. On n’a pas besoin d’y tenir la main, dans la nouvelle armée. Ils ne demandent qu’à bien faire, — autrement, ils ne se seraient pas engagés. Ils sont patiens, résistans à la fatigue, à l’ennui, — sans doute parce qu’on les a rudement entraînés, et puis, c’est une qualité qui leur est naturelle ; elle compense ce que vous pouvez trouver en eux d’un peu lourd, muet, inarticulé. Pourvu qu’ils aient une pipe et du tabac, et qu’ils sachent que la Missus, à la maison, touche son allocation... Et pourtant les mois et les mois de tranchée, sous la pluie, dans la boue, avec la seule distraction des torpilles et des whizz-bangs !... Interrogez-les : ils ne feront pas de phrases : ils vous diront, peut-être, que