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par terre et par eau, diligence et bateau, devait le conduire à travers un grand nombre des vingt-quatre Etats (aujourd’hui quarante-huit) qui formaient alors l’Union, il devait recevoir les témoignages multiples, ardens d’une vénération qui portait au-devant de lui, non pas seulement les anciens combattans de la guerre civile, les chefs du gouvernement, Monroe au second terme de sa présidence, Adams à la première année de son unique mandat, mais le peuple entier des cités, qui comptaient alors quelques milliers d’âmes, où maintenant elles se chiffrent par centaines de mille, et cent soixante-dix mille à New-York, où elles dépassent aujourd’hui six millions. Les femmes demandaient qu’il leur fût permis de toucher ses vêtemens ; les pères lui présentaient leurs enfans. A Yorktown, le général Taylor lui offrit une couronne tressée pour un double triomphe : « Dans les combats, il fut un héros, et dans la vie civile, le bienfaiteur du monde. » On acclamait en lui le grand apôtre de la liberté. Venu comme simple particulier, le général La Fayette recevait le double hommage d’une admiration personnelle et d’une vénération nationale, d’une reconnaissance militaire et d’une sympathie libérale.

Mais, si grande qu’eût été jadis la manifestation qui, sur les pas de La Fayette, levait, avec le souvenir des jours héroïques de l’indépendance, la foi dans le progrès de la liberté, celle que la mission française a, dans un voyage de quatorze jours, fait naître sur sa route, la dépasse encore. Le 6 septembre 1916, au City Hall de New-York, l’ancien ambassadeur Robert Bacon, dont le nom est resté cher aux Parisiens, faisait, entre le vainqueur de la Marne et celui de Yorkstown, un parallèle significatif : « La bataille de la Marne, combattue et gagnée par Joffre. le jour de l’anniversaire de La Fayette, fait du 6 septembre une date mémorable, non seulement dans l’histoire du pays, mais dans toutes les annales de la civilisation. En commémorant les services de La Fayette, l’ami de la liberté, l’ami de l’Amérique et l’ami de Washington, nos cœurs vont à la France, à sa lutte pour l’humanité, pour nos intérêts et nos droits américains. » Tandis que, dans le marquis de Chambrun, la gratitude américaine retrouvait avec satisfaction la lignée personnelle de La Fayette, il lui semblait, dans le maréchal Joffre, trouver sa lignée militaire. Coiffé du képi aux trois feuilles de chêne, simplement vêtu de la tunique bleu sombre, aux manches desquelles brillent