Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 40.djvu/662

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

clair, calme, un peu froid, le port de tête rigide, avec un peu d’aristocratique fierté dans la légère raideur du sourire ; à gauche, M. Viviani, le regard d’abord las, comme éteint, puis animé, le visage d’abord mat, puis empourpré, les traits contractés, dans le silencieux travail de pensée de l’orateur qui, dans un instant, va parler, et de cigarette en cigarette, cherche nerveusement l’inspiration décisive.

Dans la foule des mille convives pas un qui ne soit une notabilité de la politique, une autorité de la finance, une notoriété du barreau, une personnalité de la presse. Mais, parmi cette élite, il y a encore une sur-élite. Involontairement, le regard s’arrête, à la table d’honneur, sur un délicieux vieillard, courbé, cassé, mais qui retient encore, dans la vivacité de la parole, une juvénile ardeur : le vénéré Joseph H. Choate a l’air suprêmement heureux. Chaque trait de son visage parcheminé, curieuse évocation d’un passé plein d’activité, chaque ride profonde laissée par le temps et l’effort de la pensée, chaque plissement de ses lèvres minces et débonnaires, semble converger vers ce sourire un peu malicieux qui reflète toute l’allégresse de son âme. Son menton ferme marque la volonté. Son regard, encore vif, brille de toutes les lueurs de l’intelligence. D’une voix flûtée, qui, pourtant, n’a pas perdu toute son ancienne chaleur, il laisse tomber des paroles goguenardes, pleines d’un esprit pétillant, qui mettent l’assistance en joie. C’est le doyen des convives. C’en est aussi, comme on dit aux Etats-Unis, le wit, c’est-à-dire l’esprit.

Assis près du maréchal, « Teddy » Roosevelt, corpulent, presque lourd, agité d’un trémoussement continuel qui témoigne son impatience de mouvement et d’action, semble mal à l’aise dans son habit de coupe large et sévère. Son visage sanguin, aux traits forts, énergiques, à la mâchoire proéminente, qui garde, dans le moindre de ses sillons, toutes les traces d’une vie d’effort continu, reste impassible, légèrement empourpre. Son regard profond, scrutateur, sous les paupières presque fermées dans un involontaire plissement, s’arrête avec la certitude calme du triomphe. Il ne rit pas, ne sourit pas, mais lorsque son vieil ami Choate, rappelant son offre au gouvernement américain, laisse tomber cette parole qui soulève un tonnerre d’applaudissemens : « Si la guerre est assez bonne pour lui, n’est-elle pas bonne aussi pour nous ? « il se renverse en arrière