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membres quelconques d’un bon club de Piccadilly. C’étaient pourtant bien des officiers de carrière. Ils avaient tous la même apparence de bonne humeur égale, avec cette fraîcheur et presque cette innocence lisse du visage que les fatigues et les soucis de la vie n’ont pas touché. L’Anglais, dans cette classe, garde longtemps sa simple et souple jeunesse. Mais on sentait le sérieux profond, les certitudes fondamentales, l’expérience acquise, et, chez quelques-uns, une intelligence dont la vivacité et la pénétration surprenaient. Encore une fois on constatait qu’il n’est pas besoin d’être très intellectuel pour être très intelligent.

L’un d’eux nous disait (je rassemble des propos épars, des réponses à nos questions, car personne ne discourait) :

« Nous ne savions rien, en 1914 ; mais, dans cette guerre, c’est presque un avantage de n’avoir rien su : on n’a rien à oublier. Simplement, chaque jour apporte sa leçon, et l’on finit par connaître tous les tours de Frère Boche. En somme, c’est un foot-ball, plus compliqué : on l’apprend à force de le jouer. À la longue ça vaut bien l’enseignement d’une école de guerre où personne ne pouvait prévoir les nécessités actuelles. »

« Le plus difficile, » disait un autre, « ç’a été les cadres. » Ceux qui servaient jadis à une armée de deux cent mille hommes, ont à peu près fondu dans les premières batailles, et c’est trois millions d’hommes qu’il a fallu dresser, commander. On s’est adressé d’abord à tous les vieux majors et colonels en retraite, et puis aux élèves des Public Schools, aux jeunes gens de la bourgeoisie : Tommy ne prendrait pas au sérieux des officiers d’une origine moindre. Ils passent d’abord par le rang, et puis entrent dans des corps spéciaux où on les prépare. L’éducation est pratique. Nous avons une école près du front, où on leur apprend les tranchées, les abris, les fils de fer, la routine de la guerre de position. L’essentiel, c’est la faculté de commander : ils l’ont presque tous, avec le sentiment sérieux de leurs responsabilités. C’est très joli chez les tout jeunes. Vous vous rappelez l’admiration de Kipling pour nos midships. On raconte une histoire de middie qui l’aurait amusé. C’était aux Dardanelles. Un transport venait d’arriver, amenant, avec des troupes, un général et son état-major. Une canonnière vint les chercher, commandée par un enseigne de dix-sept ans, un enfant aux joues roses, qui avait l’air plein de pain et de beurre. Près de