Page:Revue des Deux Mondes - 1917 - tome 40.djvu/658

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

décore la muraille nue, le groupe symbolique de ces trois hommes se détache avec force. « Il me semble, murmure tout bas un Américain, qu’en ce moment je vois la France. »

Puis le cortège défile dans un quartier manufacturier, où, sur les enseignes, se lisent des noms allemands, mais où, pourtant, les acclamations s’élèvent, chaleureuses et nourries. Il passe devant les statues de Washington et de La Fayette, rencontre le Flat Iron Building, immense « fer à repasser » de vingt étages, dont la pointe s’avance dans la verdure de Madison Square. Il salue, dans la flèche du Metropolitan Tower, un souvenir du Campanile, passe sous un arc de triomphe, où se lit la phrase, désormais célèbre, du président Wilson : « Pour le salut de la démocratie dans le monde, » et débouche, aux premières lueurs du crépuscule, dans l’élégante cinquième Avenue, sous les étendards de toutes les nations alliées, qui, à perte de vue, forment, dans la gloire mourante du jour, une sorte de dais de rubis, d’émeraude et de saphir. Les cathédrales, ramenées à la commune hauteur par l’élévation des maisons voisines, se couvrent de drapeaux géans. Devant la Bibliothèque publique, que gardent, sur le haut escalier de marbre, deux grands lions de pierre accroupis, à l’intersection de la quarante-deuxième rue, où, fièrement, de colonnade en colonnade, s’éploie, majestueux dans sa large envergure, le vol de l’aigle américain, des milliers de spectateurs se lèvent. D’un bout à l’autre, c’est l’acclamation frénétique, l’applaudissement continu descendant du sommet des immeubles de vingt étages, jusqu’au remous vivant de la rue, la police impuissante à contenir la foule, mais la foule se disciplinant elle-même, une ferveur d’enthousiasme qui touche aux cimes, un délire sacré de patriotisme, où l’affection pour l’Amérique se double d’une égale affection pour la France.

Le cortège longe, à gauche, la masse verte du Central Park, tandis qu’à droite l’avenue prend de plus en plus, dans le quartier des résidences, un caractère aristocratique. A la soixante-dixième rue, les ovations prennent fin, devant le palais à la Mansart, princière demeure, que la courtoise attention de son propriétaire, Henri Frick, met à la disposition de la mission. Les accens, très doux, presque éthérés, d’un orgue mélodieux, à peine effleuré d’une main légère, reposent, par leur suavité, du bruyant enthousiasme de la rue aux mille bouches.