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du vent et l’intermittence de la pluie, vingt-cinq mille personnes. Les chevaux de la police montée se cabrent, les opérateurs de cinémas se démènent, une nuée de fleurs descend, tandis que les ambassadeurs extraordinaires de la France, échappant au remous de foule dont l’enthousiasme les prend d’assaut, montent à grand’peine dans la longue file d’autos qui, singulière ironie, les attend devant les bureaux, maintenant déserts, des compagnies de navigation allemande : le North German Lloyd et la Hamhurg-Amerika Linie. La double rangée des buildings monte si haut que c’est à peine si, dans l’espèce de gorge longue et étroite qu’ils forment, les piétons d’en bas peuvent, levant les yeux, apercevoir le ciel.

Depuis le terre-plein de l’ancienne forteresse, jusqu’au Woolworth Building, dominant le City Hall de toute la hauteur de ses cinquante-quatre étages, couronné d’une flèche audacieuse, éclate une ovation qui, pour aller droit au cœur, ne craint pas de meurtrir les oreilles : ovation qui sort moins d’une foule que d’une fourmilière, rampant en bas, grimpant en haut, collée aux vitres, suspendue aux entablemens des fenêtres, au rebord des corniches, perchée même sur les toits, avec une hardiesse à donner le vertige. Il semble que, soudainement doués de vie, les grands gratte-ciel, éclairés par des milliers d’yeux, hurlent, par des milliers de bouches, le welcome gigantesque de la métropole : cris, vivats, battemens de mains, glapissemens, sifflets aigus, rumeur confuse coupée de notes stridentes, qui semblent la voix même des géans de pierre. Des myriades de petits papiers blancs, jetés des fenêtres, voltigent comme des papillons. De longs serpentins, lancés d’un vingtième, d’un trentième étage, se déroulent entre les jambes des chevaux effrayés des miliciens de haute taille ouvrant, non sans peine, la voie au cortège. Jamais héros national, pas même l’amiral Dewey, en 1899, après la victoire de Manille, ne reçut pareil accueil. Pas une seconde le maréchal, un éclair dans ses yeux bleus, ne quitte du regard les innombrables grappes noirâtres qui semblent descendre des nues ; le chef civil de la mission multiplie les coups de chapeaux. Les officiers de la mission, le colonel Fabry, martial sous le béret des chasseurs alpins, « diable bleu » que le peuple acclame, le lieutenant de Tessan, toujours de service auprès du maréchal, répondent de leur côté à l’inoubliable manifestation.