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la voix aigre et pointue, dont la physionomie resplendit d’intelligence, vient exprimer au nom des Israélites de Kansas City les sentimens de fidélité de la communauté juive envers l’Amérique, envers les Alliés, « même envers la Russie. » Succédant aux chants religieux, aux discours pieusement patriotiques, la Marseillaise, dont le rythme s’accélère à mesure que la mission s’avance vers l’Ouest, joint à sa flamme la majesté. Ce n’est plus l’hymne ardent qui dit la passion des hommes pour la liberté, mais le chant guerrier de la justice divine.

Insensiblement enveloppé par cette atmosphère de foi patriotique et religieuse, M. Viviani ne cherche pas à le dissimuler : « J’ai été ému, dit-il. Vos yeux se levaient vers le ciel comme pour y chercher la justice divine. Et je me demandais comment il se pouvait que vous imploriez le Dieu de pitié et de miséricorde, pour qu’il devînt le Dieu de guerre. Mais j’ai compris : vous avez imploré le Dieu de guerre, parce que le Dieu de pitié ne pouvait être d’accord avec la bestialité humaine. »


Saint-Louis, 6-7 mai.

Grande cité de 700 000 habitans, largement étendue de son hôtel de ville monumental à sa cathédrale byzantine, Saint-Louis n’a de français que le nom, et, pour quiconque est de France, ouvre une source de mélancolie. Dans cette ville, dont les premières origines sont françaises, c’est à peine si quelques rares survivans des Français d’autrefois parlent encore la langue de leurs arrière-grands-pères. Les noms, s’ils ne sont anglais, sont germaniques. « Aviez-vous déjà été en Allemagne ? demandait le Kaiser à un général qui assistait aux grandes manœuvres impériales en Silésie. — Seulement à Milwaukee, Cincinnati et Saint-Louis, » fut la réponse. Mais, ici comme à Chicago, le temps a fait son œuvre : les descendans des émigrans que la prussianisation triomphante de l’Allemagne chassait de l’autre côté de l’Atlantique dans l’Amérique libre, sans castes et surtout sans caste militaire, ne peuvent s’empêcher de reconnaître que, dans la présente guerre, la France et ses alliés luttent pour la justice et les Etats-Unis pour l’humanité. Démocrates, ils ont, aux dernières élections présidentielles, voté pour le président Wilson. Confians dans la sagesse du guide auquel ils ont remis les destinées du pays, ils acceptent