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de riches jardins, traverse un parc, défile entre une haie de cadets de marine à l’uniforme bleu gris bordé de galons noirs, reçoit, de jeunes filles, volontaires de la Croix Rouge, vêtues de la longue blouse blanche, un gracieux salut militaire accompagné d’un joli sourire, puis entre dans la foule, qui sort des églises. A Chicago, dans la rumeur de la ville fiévreuse, où le peuple des usines et des bureaux avait, pour l’accueillir, quitté sa tâche, c’était le travail qui saluait la France et sa guerre. Ici, dans la grâce rustique d’une fraîche verdure, cadre naturel d’une région agricole, c’est la fervente piété et la gaie joie d’un dimanche sanctifié par la prière, qui se tournent, la ferveur pieuse en ferveur patriotique, la gaité du repos en liesse d’accueil. Tous saluent les hôtes qui n’ont pas craint de venir si loin chercher une pensée que seuls les pessimistes eussent pu taxer d’indifférence. Sans doute, ce laborieux extrême Ouest, à mi-chemin entre les deux Océans, qui n’a de l’Europe que de lointaines notions, avait, plus qu’aucun autre, fait, dans la guerre, son rêve personnel de paix. Mais il a trop de bon sens pour ne pas s’être aujourd’hui délivré du lourd engourdissement des pernicieuses chimères.

Autour du cortège qui défile, le peuple pieux, sorti des églises, se masse. Ni cris aigus, ni sifflets stridens, ni glapissemens de sirènes, mais des applaudissemens, des chants qui semblent continuer des cantiques, l’offre, par de petites filles timides, de lis et de roses, la paix des champs après la trépidation des usines, l’accueil des fleurs après celui des cris, le salut religieux d’un dimanche rural après l’ovation tumultueuse, à Chicago, de l’industrie en pleine action.

Dans la salle oblongue, voûtée d’un entre-croisement de poutrelles métalliques, d’où les couleurs américaines, drapées en papillons, descendent, la mission pénètre ; L’évêque presbytérien, les bras croisés sur la poitrine, les yeux levés en extase, la voix agitée d’un tremblement convulsif, dit la prière. Les têtes s’inclinent ; à la voix grêle du prêtre répond le bourdonnement confus des Amen de la foule. Puis, c’est l’hymne Onward Christian Soldiers, dont l’assistance entonne en faux-bourdon le rythme martial et religieux. Un révérend, jeune encore, au visage énergique, la longue redingote noire boutonnée jusqu’au menton, fait d’une voix claironnante un long sermon de vingt minutes à la rhétorique brillante. Un rabbin au corps mince, à