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très bruyante, des manifestations américaines. Tous sont debout, lançant des vivats, des cris sauvages, des interjections aiguës, des hurlemens de Peaux-Rouges. L’ovation, faisant successivement le tour de la salle, ne cesse sur un point que pour reprendre sur un autre. Pendant cinq minutes, elle se renouvelle ainsi par bonds ininterrompus, qui la font à plusieurs reprises porter sur l’assistance entière. Calme, impassible, la main levée à la tempe, le maréchal reste dans l’attitude militaire, mais simple, d’un « Garde à vous » sans raideur. Tourné sur lui, un projecteur électrique accuse le relief puissant et doux de ses traits fermes. Dans cette immobilité, sous cette lumière, devant cette foule, il semble, mi-homme, mi-statue, entrer vivant dans l’apothéose. Sous la paupière légèrement affaissée, passe, dans ses yeux bleus, le reflet des grands rêves. Mais il faut parler, couper court à cette manifestation que son sang-froid accueille, sans que sa modestie l’accepte. Par deux fois, ses lèvres s’agitent d’un tremblement convulsif. Le gouverneur, qui se garde bien d’essayer de dominer le tumulte, consent cependant à lui passer le marteau qui réclame le silence. A deux reprises, le maréchal en frappe la tribune ; mais les applaudissemens continuent jusqu’à ce qu’enfin, dans une accalmie, il puisse placer quelques paroles simples et dignes, ramenant à l’armée l’honneur qu’il ne veut pas qu’on détourne sur lui, « armée qui, dit-il, comprend non seulement ceux qui combattent, mais ceux qui travaillent à fournir des armes aux combattans. » C’est au nom de cette double armée, « l’armée du front et l’armée des usines, » qu’il porte à Chicago le salut de la France.


Kansas City, 6 mai.

Métropole industrielle d’une région agricole, peuplée des descendans des Puritains de la Nouvelle-Angleterre, Kansas City s’étend des deux côtés du Missouri, dont, à quelques centaines de pieds au bas de la route, fuit la nappe d’argent, tandis que, dans la vallée brumeuse, voilée par les fumées, s’aperçoit, juchée sur des hauteurs, la partie industrielle de la ville, logée, non plus dans l’Etat du Kansas, mais, particularité singulière, de l’autre côté de l’eau, dans l’Etat du Missouri. Dans la et clarté d’un jeune soleil, le cortège passe, sur des routes à forte pente, entre des rangées de paisibles villas ombragées