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bâtiment à façade rougeâtre, aux nombreuses tourelles : copie, plus ou moins bâtarde, d’Universités anglaises, et qui, dans cette ville si moderne, dont cinquante ans plus tôt la place n’était qu’un amas de huttes auprès d’un lac, détonne avec ses airs moyenâgeux d’église gothique et de château fort. Forteresse de science, c’est l’Université de Chicago. Des docteurs en robe descendent le perron monumental, prennent, un à un, le bras du président, du maréchal, des autres personnes, et, d’un pas lent, les conduisent à travers les pelouses des grands jardins paisibles, jusqu’à la salle, lambrissée de vieux chêne, où, tamisée par les vitraux de couleur, la lumière du jour caresse doucement le regard. Après la prière, le déjeuner ; la Marseillaise, la Bannière Étoilée, sont entonnées en chœur ; puis un coup de maillet vigoureux impose silence. Le président de l’université se lève. De taille moyenne, peu large d’épaules, mais de maintien ferme, il a, sous ses cheveux blancs, les traits énergiques, le geste sobre, la parole nette. La chaleur, l’accent de sincérité profonde de son discours, la pureté de sa forme littéraire font avec la piteuse mélopée du maire Thompson un contraste qui n’échappe à personne. Lorsque, avec une diction qui ne laisse tomber aucune syllabe, il dit : « Nous donnerons jusqu’à notre dernier battement de cœur, » une émotion qui touche au délire s’empare de la docte assemblée. L’enthousiasme redouble lorsque le maréchal, présenté à l’assistance, porte la santé de M. Viviani ; il ne connaît plus de bornes lorsqu’à la sobre éloquence du président Judson, vient s’ajouter la brillante improvisation de l’ancien président du conseil, qui, ancien grand-maitre de l’Université de France, rappelle avec fierté ce titre pour faire dans cette ville, où la science allemande a si profondément pénétré, le rappel des titres de la science française. Le projet du professeur Wigmore d’envoyer des étudians américains en France, au pied de nos chaires, au lieu de leur laisser, comme autrefois, prendre la route de Heidelberg, de Bonn ou de Berlin, est à ce moment dans la pensée de tous. La présence de M. Hovelaque, spécialement chargé par le ministre d’étudier les conditions de resserrement des liens intellectuels franco-américains, donne aux paroles officielles tout leur sens. C’est un programme d’action qui se précise ici, pour se poursuivre ensuite entre les mains des spécialistes de chaque faculté et aboutir à la mutuelle entente des esprits.