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que toutes les causes justes doivent toujours trouver, de l’autre côté de l’Atlantique, tous les cœurs unis : « Si nous avions douté de la justice de la nôtre, nous n’aurions plus douté, affirme-t-il, lorsque, à travers l’immensité des flots, nous retournant vers la libre Amérique, nous voyions tous les Américains pensans se retourner de notre côté. Venez à nous, frères américains, venez combattre à côté des frères français, à côté des frères alliés. Venez, sous votre étendard glorieux, auquel s’ajouteront d’autres gloires, lutter pour la démocratie du monde ! »

Par un labyrinthe de couloirs souterrains, bordés de rampes, de balustrades, de marches d’escaliers, qu’occupe, depuis de longues heures, une foule de curieux, la mission passe directement jusqu’à la scène de l’Auditorium, où, déjà, sur des banquettes étagées, trois cents notabilités sont assises, tandis que, dans la salle de l’immense théâtre, dont la voûté disparaît sous les drapeaux, plus de quatre mille personnes se pressent. Les tickets d’entrée distribués par le comité de réception à ses invités se sont revendus plus de soixante dollars. La rumeur est grande, mais, dès que la mission pénètre, le silence se fait. Toute la salle se lève : la Marseillaise, jouée par l’orchestre sur un rythme lent, est, sur des demandes successives, répétée six fois de suite. Debout, chacun des assistans agite au moins un drapeau, souvent deux : une véritable vague de bleu, de blanc et de rouge déferle sur des milliers de têtes.

Après la prière, dite, ainsi qu’il convient, par l’évêque de Chicago, le maire, le prudent maire, se lève. Et c’est lourdement qu’il se lève. Il est grand et corpulent, la figure rougeaude, avec, dans les traits, quelque chose de vulgaire. D’un air contraint, il s’avance vers le devant de la scène, et, penché sur la table qui l’occupe, s’engage, d’une voix traînante, ennuyée, lente, dans une longue élucubration qui, passant sous silence les problèmes du jour, se borne à rappeler, dans un interminable récit, les lointains et peu compromettans exploits des premiers explorateurs français. L’assistance, d’abord étonnée, puis ennuyée, s’impatiente, se fâche. On entend des battemens de pieds, des rires étouffés, puis de moins en moins réprimés. Bref, une hilarité générale oblige l’orateur à écourter son discours, qu’il termine brusquement, en souhaitant, d’une voix que l’on entend à peine, la bienvenue aux hôtes de la ville. Mais déjà, le gouverneur est debout, qui, salué d’une ovation