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nation qui n’a jamais plus confiance dans son avenir que lorsqu’elle y voit le prolongement de son passé, d’une nation religieuse, où le serment est le lien suprême, il concluait avec une irrésistible énergie, comme si, en dehors de tous les traités, mais au-dessus d’eux, il scellait ainsi, plus profond encore que l’accord des politiques, le pacte des cœurs : « C’est juré sur le tombeau de Washington, c’est juré sur le tombeau des soldats alliés, tombés pour la cause sainte ! C’est juré sur nos blessés ! C’est juré sur la tête de nos orphelins ! C’est juré sur les berceaux et les tombeaux ! C’est juré ! »

Dans un gouvernement d’opinion comme le gouvernement américain, et dans une crise d’une ampleur telle que celle-ci, quand le vote de la conscription ouvre à la nation américaine la redoutable perspective des grands efforts d’une rude guerre, ce n’est pas assez de parler au Congrès assemblé ; c’est le peuple lui-même qu’il faut émouvoir. C’est à lui qu’après avoir été chercher, sur les routes de l’Illinois, les grands souvenirs de Lincoln, la mission doit, pour compléter son œuvre, demander de répéter le même serment. A peine a-t-elle, de surprenante manière, soulevé l’enthousiasme de la capitale, que, de toutes parts, les grands centres commerciaux, industriels, intellectuels, où s’élaborent spontanément les forces vives de la puissance américaine, l’invitent à venir. Les gouvernemens demandent un arrêt dans les Capitoles, les cités dans les hôtels de ville ; les clubs proposent des banquets, les Universités offrent des doctorats honoris causa ; les plus élégantes des résidences, les plus somptueux des petits palais se disputent l’honneur de recevoir, à la descente du train spécial, les ambassadeurs extraordinaires de la France.


Chicago, 4 mai.

Débarquée à midi, dans le froid d’un ciel sombre, et non moins froidement saluée par le maire, — qui, pour l’inviter au nom de sa ville, hésita un peu, c’est-à-dire trop longtemps, — la mission défile sur les quais de la gare centrale, entre deux haies de policiers robustes, les épaules carrées, la face pleine et sanguine, le bâton levé à la hauteur des yeux en un salut rigide. Dehors, le premier régiment de cavalerie de l’Illinois, hommes de forte taille, fièrement campés sur de grands chevaux, en uniforme haki, sans galons ni dorures, sonne une fanfare