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résidences, coupées de place en place de squares où quelque statue de général, d’homme politique ou de littérateur, évoque les grands souvenirs de l’histoire. Elle s’arrête au seuil de la belle demeure, — américaine d’architecture, avec sa brique rouge et ses colonnades blanches, mais française par le goût de l’ameublement, — d’un grand ami de la France, l’ancien ambassadeur à Paris, M. White. Partout, du Capitole à la Maison Blanche, du Congrès à la Présidence, elle rencontre le souvenir du grand événement historique auquel elle doit d’être ici.

Quand le maréchal Joffre eut expliqué au président Wilson et au secrétaire de la guerre, Newton D. Baker, les raisons de tout ordre qui rendaient hautement désirable l’envoi de troupes américaines sur le front de France, la mission aborda la partie de sa tâche la plus délicate et la plus haute, celle qui consistait à développer dans l’Amérique, pour qui la guerre était encore lointaine, le sentiment qu’elle était proche. Au Sénat, à la Chambre où, premier orateur étranger, il eut l’exceptionnel privilège de prendre à la tribune de marbre la parole au nom de la France, M. Viviani dégagea le sens de l’entrée des Etats-Unis dans la guerre. Quelques jours plus tôt, cherchant, à Mount-Vernon, dans la simple maison de Washington, la clé de la Bastille, pieuse relique de notre Révolution, et, à deux cents mètres de là, devant son modeste tombeau, le souvenir de nos soldats, « des soldats qui, depuis bientôt trois ans, luttent, sous les étendards alliés pour le même idéal, héros obscurs qui savaient que, sauf pour leurs proches, leur nom tomberait avec leur corps, » il avait salué la grande ombre du général libérateur. Et, tandis qu’il parlait à la Chambre, le souvenir de sa visite au tombeau de Mount-Vernon prit à nouveau possession de sa pensée : « Si Washington pouvait se lever, du haut de sa montagne sacrée, apercevoir le monde tel qu’il est, devenu plus petit par le rapprochement des distances matérielles et morales et par l’enchevêtrement des relations économiques, il sentirait que son œuvre n’est pas finie, et que, de même qu’un homme puissant et supérieur se doit aux autres, de même un peuple puissant et supérieur se doit aux autres peuples. C’est la logique mystérieuse de l’histoire qu’a si merveilleusement comprise M. le président Wilson. » Et, dans l’émotion grave et recueillie des représentans d’une