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les appelle Américanos.) Ils se sont servis du Nouveau Monde, mais c’est l’Ancien qu’ils aiment. Ils exercent une influence étonnamment étendue qui, agissant sur la vivacité de l’intelligence et l’habileté nationale, profite, j’imagine, à l’invention et au talent. Ajoutez à cela la conscience que la nouvelle Italie prend d’elle-même dans ces immenses efforts et ces immenses besoins, — phénomène indéfinissable comme l’aurore, mais qu’on sent comme elle dans l’air, — et vous commencerez à comprendre quelle sorte d’avenir s’ouvre pour cette nation, la plus vieille et la plus jeune de toutes. Avec l’économie, la bravoure, la tempérance et une Idée, on va loin. L’Italie combat maintenant comme toute la civilisation combat, contre ce qu’il y a d’essentiellement démoniaque dans le Boche ; et elle le connaît mieux que nous ne le connaissons en Angleterre, parce qu’elle a été son alliée. A cette fin elle donne, sans gaspillage ni parcimonie, tout son effort. Mais elle n’a aucune illusion quant aux garanties nécessaires après la guerre et sans lesquelles sa propre existence ne saurait être assurée. Elle combat pour cela aussi, parce que, comme la France, elle est logique et regarde les faits en face dans toute leur étendue. Elle a de nombreuses difficultés, générales et particulières. Mais l’Italie accepte ces charges et d’autres, exactement dans le même esprit qu’elle accepte les plateaux criblés de trous, l’âpreté des montagnes, l’instabilité des neiges et toutes les épreuves imposées à ses armes. Tout cela est dur, mais elle est plus dure.

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Pourtant quel homme peut prétendre à rien juger ? Nous étions dans un hôtel, attendant un train de nuit ; un officier parlait de certains vers de d’Annunzio qui ont littéralement eu pour effet de soulever des montagnes dans cette guerre. Il expliquait une allusion qui s’y trouve par une citation de Dante. Un vieux porteur, attendant pour nos bagages, sommeillait ratatiné sur une chaise près de la véranda. A mesure qu’il saisissait la cadence des vers, ses yeux s’ouvrirent, son menton sortit de son plastron de chemise, et il finit par s’asseoir comme un petit faucon sur un perchoir, attentif à chaque vers, son pied battant doucement la mesure.


RUDYARD KIPLING.