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trous. La vue, de là, embrasse les tranchées autrichiennes sur les pentes blafardes, et l’on entend les canons autrichiens, qui, cette fois, ne sont pas paresseux, mais ardens et querelleurs. Cependant, de notre côté, on ne répond pas.

— S’ils veulent se renseigner, dit en riant l’officier, ils n’ont qu’à venir voir.

On imagine combien les hommes qui sont derrière ces canons donneraient pour une place dans la voiture qui nous conduit, pendant les quelques heures suivantes, le long d’une autre ligne bien dissimulée...

Autour de nous, le brouillard s’épaissit et noie au loin les montagnes et les masses d’hommes soudain entrevues qui émergent un instant, pour disparaître de nouveau. Nous nous dirigeons vers le sommet jusqu’à la rencontre des brouillards et des nuages, par une route plus raide qu’aucune de celles dont nous nous sommes servis jusqu’ici. Elle aboutit à une galerie de roc où d’immenses canons, prêts à tirer sur un certain point quand une certaine heure sera venue, attendent dans l’obscurité.

— Marchez avec précaution ! Il y a par ici un tournant plutôt rapide.

La galerie ouvre sur un espace nu et une chute à pic, à des centaines de pieds, de rocs striés, garnis de touffes de bruyères en fleurs. Au pied du mur, commence la véritable montagne, à peine moins escarpée : plus bas encore, elle s’infléchit en pentes douces qui descendent, par une suite de contreforts ou de monticules, jusqu’aux immenses et antiques plaines situées à quatre mille pieds plus bas. Vers le Nord, les brouillards cachent la vue ; mais on peut suivre à la trace le cours des larges rivières qui descendent vers le Sud, les ombres minces des aqueducs et les silhouettes échelonnées des villes dont chacune a un passé qui, à lui seul, vaut plus que l’avenir de tous les Barbares menant leur tumulte derrière les chaînes qu’on nous montre par les fenêtres de l’observatoire.

... L’officier achevait de nous faire l’historique des combats et des bombardemens d’une année.

— Enfin, ce point à l’horizon, à droite de cette crête lisse, juste sous les nuages, est une mine que nous avons fait sauter.

A ces mots, le volet du poste d’observation, derrière sa frange de glands de cuir, se ferma doucement : on fait tout sans bruit sur cette terre silencieuse et dure.