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IX. — LE FRONT DU TRENTIN

Point n’est besoin d’un expert pour distinguer les caractères des différens fronts italiens. Ils se dégagent, quand on est encore loin derrière les lignes, des troupes au repos ou de la circulation sur la route. Même derrière le charmant Asolo de Browning où, vous vous le rappelez, Pippa passait, il y a soixante-seize ans, annonçant que, « tout allait bien dans le monde, » on avait une sensation d’étouffement.

L’officier nous invite à suivre ses explications sur la carte.

— Voyez : où notre frontière à l’Ouest des Dolomites plonge au Sud dans cette tête de lance en forme de V, c’est le Trentin. Les volontaires de Garibaldi l’avaient conquis en entier dans notre guerre d’indépendance. La Prusse était notre alliée alors contre l’Autriche ; mais la Prusse fit la paix dès qu’elle y trouva son compte, — je parle de 1864, — et nous dûmes accepter la frontière qu’elle et l’Autriche avaient tracée. La frontière italienne est mauvaise partout, — la Prusse et l’Autriche ont pris soin qu’il en fût ainsi, — mais la section du Trentin est particulièrement mauvaise.

Le brouillard enveloppe le plateau que nous escaladons. Les montagnes se sont changées en hauteurs arrondies ayant presque la forme de barriques et dressées à peu près à pic au-dessus de vallées arides. Des routes nombreuses et neuves ; et toujours l’inévitable groupe du vieillard et du gamin pour veiller à leur bon entretien. Des bruyères comme celles d’Ecosse ; des plateaux rouges couturés de tranchées et percés de trous d’obus ; une confusion de collines sans couleur et, dans le brouillard, presque sans forme, qui s’élèvent et s’abaissent derrière nous. Des troupes se cachent dans tous les replis qui toujours attendent d’autres troupes ; et les tranchées se multiplient du haut en bas des pentes.

Nous descendons une montagne fracassée de la tête au pied, mais conservant encore, comme des rides sur un front, les lignes des tranchées qui avaient suivi ses contours. Un fossé étroit et peu profond (peut-être une ancienne conduite d’eau) court verticalement jusqu’au haut de la colline, coupant à angle droit les tranchées à demi effacées.