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Le silence s’étendit avec les grandes ombres des piliers de roc à travers la neige ; il y eut des coups frappés et un cliquetis, et de temps en temps, un bruit de pierres qui glissent tout là-haut au flanc de la montagne ; le chemin de fer aérien continuait de marcher comme à l’ordinaire ; les bandes de travailleurs jetaient vivement leurs outils et les ruses de la nuit commençaient. La dernière vision que j’eus des joyeux enfans fut un groupe de figures de gnomes à deux cents mètres au-dessus, qui semblait, car on ne lui voyait aucun point d’appui, ne se tenir sur rien. ils se séparèrent pour aller chacun à sa besogne et n’étaient plus, que de simples points en mouvement vers le sommet ou le long des flancs du rocher, dans lesquels ils finirent par disparaître comme des fourmis. Leur véritable travail s’accomplissait « un peu plus haut encore, à quelques pas d’ici seulement, » où les postes d’observation, les factionnaires, les soutiens et tout le reste occupent un terrain en comparaison duquel les pistes de singes qui entourent le mess et les baraquemens sont unies comme un trottoir.

Les patrouilles doivent être faites par tous les tem))s et quel que soit l’éclairage qu’il y ait à onze mille pieds, avec la mort pour compagne à chaque pas et la largeur d’un pied à droite et à gauche, dans la moins accidentée. Le rocher couvert de verglas où une botte aux clous émoussés, si elle fait une glissade, ne glissera, pas deux fois ; une protubérance de schiste pourri s’écroulant sous la main ; une cheville tordue au fond d’une crevasse de quatre-vingt-dix-neuf pieds ; une chute mugissante de rochers détachés par la neige de quelque coin que le soleil a miné pendant le jour : ce sont là quelques-uns des risques auxquels ils ont à faire face à l’aller et au retour quand ils vont chercher au mess le café ou les gramophones, u dans l’accomplissement ordinaire de leur service. »

Un tournant de la descente les dérobe à ma vue, eux et leur campement que mes yeux ne reverront plus. Mais l’ardente jeunesse, la force débordante, l’heureuse et insouciante insolence de tout cela, la gravité qui se maintenait si joliment devant les tasses de café mais qui se détendait quand la musique donnait un concert à l’ennemi, et la bonne grâce naturelle de ces garçons, j’en garderai le vivant souvenir. Et derrière tout cela, on sent, fine comme l’acier des cordes du funiculaire, dure comme la montagne, la vigueur de leur race.