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l’office de mineurs et de mécaniciens, avec adjonction de quelques autres métiers auxquels nous n’avions jamais pensé auparavant. A la guerre comme à la guerre.

— Et vous continuez toujours avec les mines ?

Oui, je pouvais le dire qu’ils continuaient toujours avec les mines... Et maintenant voudrais-je leur faire le plaisir de venir écouter quelques airs de la musique du régiment ? Elle était cantonnée sur des rebords de rochers et elle jouerait la marche du régiment et celle de la compagnie ; mais un des joyeux enfans secouait la tête tristement :

— Ces Autrichiens ne sont pas de vrais musiciens. Ils ne savent pas du tout écouter la musique.

Imaginez-vous un mur de roc qui forme résonateur derrière une bande de musiciens pleins de zèle et qui se recourbe au-dessus d’eux pour concentrer la mélodie, et des arêtes de roc des deux côtés pour rabattre le son à mille pieds de là jusqu’aux champs de neige durcie qui s’étendent en bas, et des échos tonitruans que renvoient chaque crevasse et chaque cul-de-sac alignés sur un demi-mille le long d’une sonore paroi de montagne : le résultat, je vous l’assure, réduit la musique de Wagner à un murmure. Que ces musiciens aient réveillé l’Autriche, ce n’est pas là ce qui m’étonne : elle est là, toute proche, aussitôt le coin tourné : mais il me semble que toute l’Italie va les entendre à travers ces abîmes d’air subtil. Les sons éclatent, hennissent, mugissent, et les visages des musiciens se plissent de joie derrière les cuivres, et la montagne claironne fidèlement le défi qu’ils lancent à son silence. La marche de la compagnie ne provoque aucun applaudissement, — je suppose que l’ennemi l’avait entendue trop souvent. Nous nous embarquons alors dans les hymnes nationaux. La Marseillaise n’obtient qu’un succès d’estime, n’attirant guère qu’un ou deux shrapnells, lancés par manière d’acquit ; mais quand les musiciens lui offrent, en même temps qu’à toute la voûte accusatrice des cieux, la Brabançonne, l’ennemi se montre très ému...

Mais il faut savoir s’arrêter ; d’ailleurs, il était temps pour les bandes de travailleurs de rentrer par les routes. On annonça donc de là-haut, au-dessus de nous, à notre auditoire invisible, que le concert était terminé et que ce n’était plus la peine d’applaudir. Ce fut signifié un peu plus brièvement que cela et avec un bruit exactement pareil à celui d’une paire de gifles.