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par-dessus tout, c’est le labeur infini que vous impose cet entourage de montagnes où vous opérez. Vous procédez comme si vous n’aviez jamais affaire qu’à des charges d’un maximum de deux cents livres qu’on hisse le long d’une maison ; et vous avez à manœuvrer de l’artillerie lourde le long des glaciers !

— C’est vrai, mais nous sommes ici dans notre milieu et notre peuple y est habitué. Il est habitué à monter et à descendre la montagne avec des fardeaux, habitué à manier des objets et des brides et des traits et des harnais et des bêtes et des pierres : ces gens font cela toute leur vie. En outre, nous sommes à cette tâche depuis deux ans, c’est pourquoi la longue file avance en bon ordre.

Voici pourtant, à l’endroit où nous arrivons, une brèche affreuse qui s’y est produite en dépit de tout. Il y a eu là une batterie installée au grand complet sur le flanc de la montagne, avec canons, mules, baraquemens, etc. jusqu’au jour où il a semblé bon à la montagne de secouer tout cela, comme une femme fait tomber d’un coup de brosse un peu de neige qui est sur sa jupe.

— Cinquante cadavres furent retrouvés et ensevelis, nous raconte notre guide en nous montrant une rangée de petites croix émergeant à peine d’un vallon neigeux. Quatre-vingt-dix sont en tas dans la vallée avec les mules et le reste. Ceux-là, nous ne les retrouverons jamais. Comment est-ce arrivé ? Il faut très peu de chose pour détacher une avalanche, quand la neige est mûre. Il suffit d’un coup de fusil. Or nous ne pouvons nous arrêter et nous sommes obligés d’ébranler continuellement l’atmosphère par le tir de nos canons. Ecoutez plutôt !

Il ne se passait rien sur ce front en ce moment. Cependant, à intervalles, une pièce cachée ici ou là répondait à l’adversaire. Parfois la décharge résonnait comme un cri de triomphe à travers les neiges, puis comme la chute des arbres là-bas dans l’épaisseur des bois ; mais c’était plus terrible quand elle expirait en un bruit sourd, pas plus fort que le battement du sang dans les oreilles après une ascension, ou pareil à l’avis qu’un pan de montagne pourrait donner avant de se décider à se mettre de lui-même en mouvement.