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VII. — DES ARMÉES ET DES AVALANCHES

— Si vous faites une route, il faut que ce soit une route… Il insiste sur le mot.

— C’est entendu, mais se peut-il que d’aussi formidables travaux soient vraiment nécessaires ?

— Croyez-moi, nous ne posons pas une pierre de plus qu’il ne faut. Vous voyez nos routes dans la belle saison ; mais c’est en songeant à l’hiver en montagne que nous les construisons ; il faut qu’elles soient capables de résister à tout.

Ces routes s’accrochent au flanc de la colline par des arches de soutien en ciment ; elles s’enfoncent dans des revêtemens de maçonnerie jointoyée profonds de trente ou quarante pieds, protégées au-dessus par des murs de pierre qui sortent du rocher lui-même, et par-dessus cela encore par des murs d’ailes pour séparer et détourner les éboulemens de neige ou les dégringolades de pierres à quelque quatre cents mètres plus haut. Elles sont coupées de solides ponts et percées de conduits souterrains à chaque tournant où peut s’accumuler l’écoulement des eaux, ou bien flanquées de longs radiers et caniveaux en pierre goudronnée, là où quelque pente détrempée de la montagne, s’affaissant en larges éventails de pierraille, pourrait déchaîner soudain, à la fonte des neiges, un torrent de cailloux et d’eau.

De distance en distance, environ tous les cent mètres, se retrouvent le fidèle vieillard et le fidèle gamin, le tas de pierres et la pelle ; et les camions qui font vingt milles à l’heure roulent aussi doucement sur la surface irréprochable qu’ils feraient en plaine. Nous passons devant une pancarte du Touring Club, posée là en temps de paix, et qui recommande de « faire attention » aux avalanches. Un enchevêtrement de pins, brisés comme des brins de paille sous une masse de rochers à peu près grosse comme une maison, et qui s’est abattue là-dessus comme un ivrogne, souligne l’avertissement.

— Faire attention… Avant la guerre les gens ne manquaient pas de baisser la voix et de retenir leur souffle quand ils passaient à ces tournans-là en hiver. Mais maintenant ! Entendez quel bruit cette file de voitures fait dans les gorges ! Imaginez cela en hiver ! Et songez qu’une simple motocyclette peut suffire